Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du jeudi 8 octobre 2020 à 9h00
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Le 26 novembre 1974, ici même, Simone Veil concluait son discours par ces mots : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »

Cette ode à la jeunesse montrait sa confiance dans notre capacité à nous adapter aux évolutions sociétales. Notre débat est une occasion de nous montrer digne de cette confiance. Elle nous oblige à une grande vigilance sur les évolutions qui pourraient être apportées à un texte historique. Aussi, c'est avec beaucoup d'humilité et de précaution que nous réviserons ce texte, qui a vu le jour dans un contexte historique particulier, qui explique une partie des mesures y figurant.

Avec précaution donc, mais aussi avec rigueur et calme : on ne bouleverse pas innocemment ce type de texte, voté dans la douleur, voire l'invective et la violence. Depuis, les esprits se sont heureusement apaisés, et la vie des femmes s'en est trouvée profondément améliorée.

De l'Antiquité grecque au XXe siècle, en passant par le Moyen-âge, les historiens trouvent à toutes les époques des traces de pratiques abortives. Chaque fois, elles sont décrites comme des histoires de femmes : femmes qui subissent, femmes qui souffrent, femmes qui pratiquent, femmes qui meurent…

Au-delà de la physiologie, c'est donc bien une histoire de femmes que celle de l'avortement, comme si le rapport sexuel qui avait entraîné la grossesse était ignoré, et comme si les hommes ne voulaient pas voir. Ce sont bien les femmes qui, de tout temps, ont subi la pression induite par la maîtrise de la fécondité, et font face aux conséquences de grossesses non désirées.

C'est un sujet qui a bien souvent été au coeur de débats brûlants dans lesquels l'on déchiffre sans peine la crainte des hommes de voir les femmes acquérir un droit immense sur la paternité et sur leur propre corps : l'histoire de l'IVG est donc indissociable de l'histoire des droits de la femme et de son statut, du rôle – consenti – que la société lui donne par rapport à l'homme, de la vision enfin qu'on a du corps de la femme.

« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », écrivait Simone de Beauvoir. Il nous faut donc être vigilants, hommes et femmes, pour que ce droit conquis de haute lutte soit préservé et trouve en France les conditions de son exercice, y compris dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons actuellement. Il convient de réaffirmer sans ambages qu'il est intangible.

Pour qu'il s'agisse pleinement d'un droit, les conditions de son exercice doivent être claires et accessibles, et c'est sur elles que la proposition de loi tend à agir. Pour autant, les évolutions proposées ne font pas l'unanimité. C'est pourquoi je souhaite d'abord indiquer que sur ce sujet sensible qui interpelle les sentiments les plus personnels, notre groupe ne portera pas de position de vote ; chacun se prononcera suivant ses convictions.

La question de l'extension du délai d'accès à l'IVG a évidemment trouvé une nouvelle résonance avec l'épidémie de Covid et les difficultés d'accès aux soins qu'elle a entraînées. De trop nombreuses femmes n'ont pu bénéficier d'un accès à l'IVG dans les délais légaux, ce qui n'est pas acceptable.

L'allongement du délai légal d'accès à l'IVG à quatorze semaines constitue-t-elle pour autant la réponse la plus adaptée ? Ne risque-t-elle pas d'entraîner des débats sans fin ? Fixer et conserver une limite solide à ce délai me semblerait une bonne chose pour pacifier cette question. À titre personnel, je suis favorable à un statu quo, un allongement de la durée légale pouvant néanmoins être temporairement envisagé en cas d'état d'urgence sanitaire. Il s'agit, selon moi, d'une position équilibrée.

Si la clause de conscience s'applique aujourd'hui à tout acte médical, l'IVG, encore considérée comme un acte « à part », possède ses propres dispositions. Dans cette proposition de loi, il nous est demandé d'approuver l'abolition de la double clause de conscience médicale. Pour ma part, je n'y suis pas favorable. En effet, je pense que cette clause de conscience contribue au juste équilibre établi par la loi Veil.

La législation actuelle impose aux professionnels qui ne souhaitent pas pratiquer cet acte d'informer sans délai la femme et de lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention. Sans cette clause, la seule clause générale s'appliquerait, et il n'y aurait plus d'obligation pour le médecin d'orienter les patientes, qui devraient dès lors trouver elle-même un praticien.

Par ailleurs, la clause générale de refus de soins relève de la relation entre le médecin et patient, ce qui ne permet pas d'anticiper, au sein d'un établissement, si le professionnel va ou non accepter de pratiquer une IVG. La double clause est donc un gage de visibilité, qui réduit les risques de rupture du parcours de la femme.

Trop de disparités demeurent, selon l'âge des femmes ou leur lieu de résidence, et il faut y remédier afin que l'égal accès à l'IVG soit assuré pour toutes.

Or la proposition de loi, à mon avis trop limitée, ne comporte par exemple aucun engagement en ce qui concerne le moratoire sur la fermeture de CPEF – centres de planification et d'éducation familiale – , pas plus qu'elle ne prend en compte la nécessité de lancer des campagnes d'information et de prévention. Ce sont pourtant là des obstacles importants à l'accès à l'IVG.

La loi Veil fut une formidable avancée pour les femmes, mais aussi, plus largement, pour notre société. Elle marquait l'aboutissement d'une longue maturation, à laquelle avait pris part, parmi d'autres femmes, Gisèle Halimi. Ne galvaudons pas leur combat, soyons-en dignes, avec calme et détermination.

1 commentaire :

Le 14/10/2020 à 11:23, Laïc1 a dit :

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" comme si le rapport sexuel qui avait entraîné la grossesse était ignoré, et comme si les hommes ne voulaient pas voir."

Certains hommes ne voient que trop bien, et font tout pour que leur compagne avorte, alors qu'elle voudrait garder l'enfant.

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