Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 8 octobre 2020 à 9h00
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

Nous abordons un sujet grave, qui touche à l'intimité la plus profonde des femmes qui, aujourd'hui encore, ne sont pas pleinement reconnues par la République dans leur droit à disposer de leur corps. Le délai pour avorter est trop court, les déserts médicaux sont de plus en plus importants et de trop nombreux médecins refusent cette pratique.

L'épidémie de covid-19 a accentué les entraves à l'IVG et mis en évidence les carences de notre système de santé. Entre 3 000 et 5 000 femmes se rendent à l'étranger chaque année ; de nombreuses autres sont conduites à avorter clandestinement ou à subir une grossesse non désirée.

En évoquant ces drames, je pense à l'avocate Gisèle Halimi, signataire du manifeste dit des 343 salopes, qui joua un rôle indéniable dans le vote de la loi de 1974. À l'époque, cette avocate défendait des femmes coupables du délit d'avortement et avait reconnu avoir elle-même avorté lors d'une plaidoirie finale. Son courage nous oblige. À la fin de sa vie, il y a quelques mois seulement, elle déclarait : « Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale. » Qu'aurait-elle dit des débats indécents qui resurgissent sur la manière dont une femme peut ou non s'habiller ?

« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Voici ce qu'affirmait Simone de Beauvoir, défendant ardemment le choix libre d'une maternité heureuse. Dans de nombreux pays – en Espagne, en Pologne, aux États-Unis – , nous observons des reculs du droit à l'avortement et à la contraception, au point que le Conseil d'État s'en est inquiété dans un rapport de 2017.

C'est pourquoi le groupe La France insoumise soumettra un amendement demandant au Gouvernement d'étudier la possibilité d'ériger au rang constitutionnel le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Un tel signal serait de nature à affirmer la liberté des femmes à disposer de leur corps. Il entérinerait clairement leur droit à consentir ou non à une grossesse. Sur le plan anthropologique, il consacrerait l'égalité hommes-femmes si chère à cette assemblée. Comme l'a longuement documenté et étudié feue l'anthropologue Françoise Héritier, la domination masculine tire pour une grande part son origine du souci que les hommes ont à gouverner la procréation.

Dans ce même esprit, nous voterons en faveur de l'allongement du délai légal de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines. De nombreux pays l'ont autorisé, la Suède prévoyant même un délai de dix-huit semaines et le Royaume-Uni, de vingt-quatre.

Nous soutiendrons également la suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG. Cette possibilité, surannée et stigmatisante, qu'ont les médecins de refuser à une femme l'avortement sans justification, n'est pas digne de la République. Elle crée une rupture d'égalité, en plus d'une rupture dans la continuité des soins aux conséquences parfois dramatiques. Le corps médical n'a pas à contester la loi au nom de convictions personnelles.

Il y a quelques jours, à Atton dans ma circonscription, j'inaugurais la rue Simone Veil en hommage à la femme politique qui s'est battue avec acharnement pour la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse. Près de cinquante ans après l'adoption de la loi qui porte son nom, il est temps de lever les obstacles qui perdurent et de passer des hommages et des belles paroles aux actes. Nous voterons donc tous les amendements offrant un meilleur accès aux soins pour les femmes, accès mis à mal par la désertification médicale. Nous soutiendrons la disposition adoptée en commission, que nous avions nous-mêmes proposée, visant à permettre aux sages-femmes de pratiquer des avortements chirurgicaux pendant les dix premières semaines de grossesse. Nous espérons vivement que cette mesure sera soutenue dans l'hémicycle, à la lumière du récent rapport parlementaire de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti qui la préconise.

Le combat à mener pour l'égalité femmes-hommes est encore long. Celles-ci demeurent les premières victimes de viols, de violences conjugales et du monde du travail où elles représentent 80 % des travailleurs précaires. Elles sont encore largement rendues invisibles et représentent la grande majorité des aidants familiaux. Il y aurait beaucoup à dire sur le chemin qu'il nous reste à parcourir. Cette proposition de loi, dont j'étais cosignataire dès son premier dépôt, nous mène dans la bonne direction. Elle cible parfaitement les obstacles majeurs auxquels les femmes sont confrontées en matière d'avortement. Vous l'aurez compris, le groupe La France insoumise la soutiendra au nom du droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.

En guise de conclusion, j'aimerais vous lire les trois derniers couplets du célèbre hymne des femmes : « Seules dans notre malheur, les femmes, l'une de l'autre ignorée. Ils nous ont divisées, les femmes, et de nos soeurs séparées. Le temps de la colère, les femmes, notre temps est arrivé. Connaissons notre force, les femmes, découvrons-nous des milliers ! Reconnaissons-nous, les femmes, parlons-nous, regardons-nous. Ensemble on nous opprime, les femmes, ensemble, révoltons-nous ! »

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