Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 12 octobre 2020 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Collègues, je vous invite à rejeter le projet de loi de finances et le plan de relance qui y est associé. D'une part, ils ne sont pas de taille à relever notre économie, à limiter les dégâts sociaux, encore moins à engager une vraie bifurcation écologique. D'autre part, ils prétendent soigner le mal par le mal.

Jamais le virus du covid-19 n'aurait atteint cette dangerosité sans le virus social qu'est le libéralisme. C'est cette idéologie qui a poussé hors de nos frontières la production des éléments indispensables à la préservation de la santé des Français, notamment les masques et les tests. Le covid-19 aurait été bien moins mortel si les politiques d'austérité n'avaient pas rongé nos services publics. L'an dernier, la suppression des lits d'hôpitaux se poursuivait. Ce bilan, honteux, est le vôtre.

Dans la période qui a suivi le mois de mars, vous avez refusé de recruter sans attendre des médecins et des infirmiers, à la différence de ce qui s'est fait en Italie. Vous avez reporté au projet de loi de financement de la sécurité sociale la revalorisation salariale tant réclamée par les personnels, et celle-ci demeurera insuffisante. Dès lors, nous sommes exposés au risque d'une saturation de l'hôpital public. Mais cette fois-ci, nous le savons, les personnels ne pourront pas réaliser le même exploit que lors de la première vague, ils nous le disent eux-mêmes, d'autant que certains d'entre eux, épuisés, sont partis.

Or, dans ce projet de loi de finances, vous nous proposez les mêmes recettes : politique de l'offre et de la compétitivité, baisse des impôts sur le capital, argent donné aux entreprises sans contrepartie ni fléchage.

Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas. Le 12 mars dernier, souvenez-vous-en, Emmanuel Macron concluait ainsi son intervention télévisuelle : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour [… ] Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

Sept mois après, ces belles paroles semblent passées par pertes et profits. Pensez-vous que la situation est si bonne et moins urgente ? Pensez-vous que le système de santé public a ne serait-ce que commencé à panser les plaies que vous et vos prédécesseurs lui avez infligées ? Si l'on se réfère à ce projet de loi de finances, c'est manifestement ce que vous croyez, à moins que vos belles paroles d'alors – le ton d'Emmanuel Macron était presque celui d'un mea culpa – n'aient été que cynisme et hypocrisie, afin que la société, notamment le monde des soignants et de tous ceux qui étaient restés en première ligne, ne craque pas.

Avant de disséquer ce que vous proposez, voyons le bilan sur lequel vous vous appuyez. À vous entendre, tous les feux étaient au vert au moment où le covid-19 a touché le pays. Je me demande d'ailleurs pourquoi, si tel était le cas, Emmanuel Macron a cru nécessaire alors de tirer quelques « leçons du moment que nous traversons ».

Selon vous, donc, tout allait bien en février 2020 : la France créait de l'emploi grâce à votre politique – et qu'importe si, depuis quatorze mois, vous refusiez, au nom de la maîtrise des dépenses de santé, de donner suite aux revendications des soignants que vous alliez trouver légitimes un peu plus tard. Pour reprendre les termes d'Emmanuel Macron, le destin n'avait pas encore frappé.

Tout allait-il bien ? Pour les plus riches, incontestablement ; pour les beaucoup plus riches, merveilleusement. À cet égard, les attendus du deuxième rapport, en date du 8 octobre, remis par le comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital, organisme placé sous l'égide de France Stratégie, ne prêtent à aucune discussion : grâce à vos cadeaux fiscaux – instauration de la flat tax, suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et autres mesures – les 0,1 % les plus riches ont gagné en moyenne 86 290 euros supplémentaires par an, et les cent Français les plus fortunés, 1,2 million de plus par an ! Et, au cas où l'on nourrirait encore des doutes quant à l'impact des politiques fiscales de l'ère Macron, le rapport précise que les 0,1 % les plus aisés de 2020 sont un quart de fois plus riches que les 0,1 % de 2017.

Serait-ce dû à leur travail ? à leur productivité plus importante ? à leur talent plus grand ? Non, uniquement à l'allégement des impôts sur le capital, dont les dividendes.

Les chiffres le prouvent : les dividendes distribués ont augmenté de plus de 60 % en 2018, et la hausse s'est poursuivie en 2019 ; cette augmentation est de plus en plus concentrée dans la population, puisque les 0,1 % des foyers fiscaux les plus aisés perçoivent plus des deux tiers des montants totaux des dividendes, contre la moitié à l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, et les ultra-riches – 3 800 personnes – en perçoivent un tiers contre un cinquième en 2017.

Les plus riches contribuables du pays se sont donc enrichis considérablement, grâce aux allégements de fiscalité, qui ont nourri une concentration toujours plus grande des richesses.

Au fond, en trois ans, la France a épousé la tendance mondiale et largement comblé une partie de son petit retard en matière d'accroissement des inégalités. Rappelons en effet que, début 2020, les richesses du 1 % des plus riches de la planète étaient deux fois plus importantes que la richesse cumulée de 90 % de la population, et que 2 153 personnes possédaient plus de richesses que les 60 % les plus pauvres. En France, sept milliardaires possèdent plus que les 30 % les plus pauvres, et les 10 % les plus riches possèdent 50 % des richesses.

Je sais que ces chiffres donnent le tournis, mais ils sont la conséquence de votre politique. Accrochez-vous parce que d'autres vont suivre.

Ce dispositif d'allégement des dividendes n'est pas le seul cadeau aux entreprises, qui jouissent également d'exonérations de crédits d'impôt et d'une baisse de l'impôt sur les sociétés. À quoi sert donc cet appauvrissement de l'État et des comptes sociaux, puisque cet argent accordé a un coût pour la collectivité qui se calcule en dizaines de milliards d'euros ?

Je connais votre réponse, monsieur le ministre, je l'ai entendue des centaines de fois en trois ans : il s'agit d'attirer ou de conserver des capitaux, eux-mêmes générateurs d'investissements et d'emplois. Sauf que, de tout cela, il n'y a trace nulle part. Là encore, je prends les données de vos propres officines : l'étude la plus optimiste en matière de CICE accorde par exemple à cette gigantesque gabegie – 20 milliards par an – à peine 100 000 emplois préservés depuis sa création, soit un coût de 1 million d'euros par emploi, alors que le patron du Medef promettait un million de créations d'emploi.

En octobre 2019, le rapport de l'Institut des politiques publiques n'observait aucune retombée positive sur l'emploi de la suppression de l'ISF et de l'instauration de la flat tax. Un an après, en termes certes plus diplomatiques, le rapport du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital que j'ai déjà cité dit exactement la même chose.

Sur le temps long, il n'y a aucune incidence non plus de ces cadeaux sur l'emploi, la richesse collective ou les investissements. En dix ans, le SMIC a augmenté de 12 %, le salaire moyen de 20 % ; l'investissement des entreprises du CAC 40 a baissé de 5 %, pendant que les revenus du capital explosaient de plus de 100 % !

Vous avez appauvri les gens individuellement, vous avez fait de la redistribution à l'envers : ainsi le décile le plus pauvre de la population a-t-il vu ses revenus bruts augmenter depuis 2017, mais baisser après la redistribution fiscale !

La fiscalité française, si on la prend globalement, est ainsi devenue régressive, comme l'a pointé Thomas Piketty, et l'argent donné aux plus riches ne ruisselle pas, ou alors du bas vers le haut…

À cet appauvrissement individuel s'ajoute un appauvrissement collectif, qui résulte de la baisse des dépenses publiques et de la protection sociale. En effet, lorsque la règle des déficits était encore une règle d'airain, il a bien fallu prendre dans la poche des uns ce que vous donniez aux plus riches… Voilà notamment comment, en 2020, on en est arrivé à ce que l'État ne compense pas les 3 milliards d'exonérations de charges sociales dans le PLFSS : comment s'étonner ensuite que l'hôpital public ait été dans une si mauvaise situation pour gérer l'épidémie ?

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