Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du vendredi 16 octobre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Après l'article 9

Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics :

Il s'agit d'une situation un peu complexe, que je vais essayer d'éclairer avec les éléments suivants. L'amendement vise à écarter les conséquences d'une décision du Conseil d'État rendue le 27 mars 2020, qui a confirmé la doctrine de l'administration s'agissant de la TVA sur la marge. C'est pourquoi la mesure proposée par ces amendements apparaît discutable au regard de sa conformité à l'article 392 de la directive TVA, qui ne permet aux États membres de taxer sur la marge que les opérations d'achat-revente de terrains à bâtir ou d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans et pour lesquelles l'option à la TVA a été formulée.

Cette possibilité de taxation sur la marge a été transposée par la France à l'article 268 du code général des impôts. Elle constitue une dérogation au principe selon lequel la TVA doit normalement s'appliquer sur le prix total de la vente. Elle est réservée aux achats de terrains à bâtir et aux immeubles anciens achetés en vue d'une revente et dont l'acquisition n'a pas ouvert de droit à la déduction de la TVA. En conséquence, elle ne peut concerner que les opérations effectuées par les assujettis revendeurs, c'est-à-dire des opérateurs économiques qui interviennent comme des intermédiaires dans le cycle économique et sans modifier la nature juridique du bien qu'ils ont acheté pour le revendre.

En outre, il est précisé que le principe d'identité juridique figurait déjà dans le paysage fiscal lors de l'instauration de la réforme de la TVA immobilière en 2010 et que, depuis, l'administration n'a pas changé de doctrine.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la qualification juridique de terrain à bâtir, définie par les États membres, doit reposer sur un critère objectif et ne peut dépendre de l'intention de l'acquéreur. Ainsi, en France, depuis la réforme de la TVA immobilière en 2010, sont considérés comme des terrains à bâtir tous les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application des documents qui caractérisent leur situation au regard des règles d'urbanisme. Sont donc sans incidence sur cette qualification : aussi bien les intentions de l'acquéreur du terrain que l'emploi qui en est effectivement fait, quand bien même il déterminerait le régime de droits de mutation quand l'acquéreur est assujetti à la TVA.

En tout état de cause, l'interprétation du juge de l'Union, selon laquelle la cession d'un immeuble bâti qui s'accompagne de sa destruction par le vendeur peut, sous certaines conditions, être qualifiée d'opération unique de vente de terrain à bâtir, s'applique de plein droit sans nécessité de modifier la loi.

Par ailleurs, dans le cadre d'un contentieux juridictionnel interne, le Conseil d'État a récemment procédé à un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice de l'Union européenne. Celle-ci aura notamment à se prononcer sur la nécessité d'une identité juridique ou matérielle entre le bien acquis et le bien revendu pour l'application du régime de taxation sur la marge, sachant que l'interprétation que la Cour formulera dans cette affaire s'imposera à tous les États membres qui ont recours au dispositif de l'article 392 de la directive TVA. Dans l'attente de cet arrêt – notamment dans un souci de stabilité – il ne me paraît pas souhaitable de modifier les règles. C'est la raison pour laquelle l'avis du Gouvernement est défavorable sur ces amendements.

Je précise que si nous procédions à une ouverture du bénéfice du régime de taxation sur la marge à des opérations immobilières inéligibles, cela entraînerait une érosion assez substantielle de l'assiette de TVA et donc une perte de recettes pour l'État. Notons que j'ajoute ce commentaire aux éléments de droit que j'ai évoqués et à l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne que le Conseil d'État a demandée dans le cadre du contentieux juridictionnel interne que j'ai mentionné.

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