Intervention de Clément Beaune

Séance en hémicycle du lundi 19 octobre 2020 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Article 31 et débat sur le prélèvement européen

Clément Beaune, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Après avoir adressé une pensée amicale à Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères, je veux vous dire que je suis très heureux de me trouver devant votre assemblée pour vous demander, au nom du Gouvernement, d'autoriser le prélèvement sur les recettes de l'État au profit de l'Union européenne, qui s'élèverait en 2021 à 26,9 milliards d'euros. Cette contribution doit être replacée dans un contexte très particulier, même tout à fait exceptionnel.

D'abord, le Brexit se traduit par le départ à partir de cette année, avec effet financier dans les mois qui viennent, d'un contributeur important au budget européen, ce qui a nécessairement conduit l'Union européenne à s'interroger sur l'ambition qu'elle voulait donner à ses politiques à partir de 2021. Cette ambition n'a pas été rognée, mais il est évident que, quand un contributeur net quitte le club, cela a un impact financier – à moins de renoncer à certaines ambitions, ce que nous nous sommes refusé à faire.

Le contexte est également exceptionnel en raison de la crise de la covid-19, qui a nécessité dès 2020 des moyens supplémentaires. Si l'on compare le montant proposé pour 2021 à celui prévu pour l'exécution de 2020 – après les budgets rectificatifs adoptés également au niveau européen – , on se rend compte que l'augmentation prévue pour le prélèvement sur recettes est presque divisée par deux – de plus de 25 % à plus 15 % – , ce qui représente une augmentation semblable à celle du budget de l'État entre 2020 et 2021, dans un contexte d'accroissement inévitable de nos dépenses mais aussi de baisse de recettes au niveau européen, puisque les ressources propres dites « traditionnelles », notamment les droits de douane, se sont également affaissées en raison de l'impact de la crise. Si l'on additionne ces deux effets – celui de la crise de la lutte contre la covid-19 et celui du Brexit – , on aboutit à 80 % de l'augmentation prévue dans le projet de loi de finances pour 2021.

C'est aussi un contexte exceptionnel de mobilisation de l'Union européenne et de son budget pour se doter à partir de 2021 d'un nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 et pour disposer ainsi non seulement des moyens de faire face à la crise actuelle, mais encore les moyens d'investir et de renforcer l'effort consacré aux grandes transitions – économique, numérique et écologique – et à l'amélioration de la résistance, de la résilience, de nos sociétés et de nos économies, dont la nécessité a été mise en évidence par la crise.

Au total, avec le plan de relance européen et le nouveau cadre financier pluriannuel, l'Europe se dote pour les prochaines années de plus de 2 000 milliards d'euros de moyens, soit presque le double des montants du cadre financier pluriannuel qui se termine à la fin de cette année. C'est un effort considérable, trop diront certains, pas assez diront d'autres – certains diront même sans doute les deux en même temps, ce qui pose un problème de cohérence – , mais je crois que cela met en évidence l'ambition du budget européen qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier prochain.

Je reviendrai sur quelques éléments saillants de ce budget et du prélèvement sur recettes dont l'adoption vous est proposée. J'entends souvent parler de coupes. Pour être clair, il s'agit du résultat d'une négociation budgétaire par rapport aux propositions initiales de la Commission européenne. Il faut donc prendre une juste référence, en considérant que les moyens dédiés par exemple au programme Erasmus, à la politique de recherche, à la politique spatiale, à la politique de défense et d'action extérieure, s'ils ne sont en effet pas toujours au niveau auquel nous aurions souhaité les voir, sont chaque fois bien supérieurs à leur niveau actuel ; je crois que nous devons nous en féliciter plutôt que de minimiser l'importance de ces efforts supplémentaires.

Pour être tout à fait précis et complet, je dois également citer tout ce qui, dans ce cadre financier pluriannuel qui sera mis en oeuvre à partir de 2021, tout ce que la France a obtenu pour ses propres priorités au terme des négociations budgétaires.

D'abord, les crédits de la politique agricole commune et de la pêche ont été stabilisés, alors qu'il y a deux ans, quand cette négociation a commencé, nous étions loin du compte : la proposition initiale aurait abouti à une baisse de 20 milliards d'euros des crédits de la politique agricole commune, ce qui était évidemment inacceptable.

Nous avons également obtenu une croissance forte des moyens consacrés à la politique dite « de cohésion », la politique qui soutient nos régions, d'environ 50 milliards d'euros, qui va bénéficier aux régions françaises, notamment à nos territoires d'outre-mer, et leur permettre d'accélérer la transition et de soutenir leurs investissements.

Mais ce que nous avons avant tout obtenu dans ce cadre financier et dans le plan de relance qui lui est adossé, c'est l'expression d'une solidarité européenne face à la crise, avec, en quelques mois, des pas que personne n'aurait imaginé nous voir effectuer, même en plusieurs années. La création d'un endettement commun permettra de soutenir les États dans la relance et de renforcer les politiques prioritaires de l'Union européenne, notamment la réponse économique à la crise. Je sais bien qu'un endettement peut apparaître technocratique et parfois contestable, mais cette innovation exprime, au fond, la confiance qu'a l'Europe dans son avenir commun : on ne s'endette pas sur quatre décennies – on ne reçoit d'ailleurs pas de financement sur quatre décennies – lorsqu'un doute existe sur l'avenir du projet commun. C'est cela qui se joue avec ce premier recours à l'endettement européen : face à la crise, tous les gouvernements mobilisent une capacité d'endettement, et il était indispensable que l'Europe dispose d'une telle capacité.

Cet endettement commun ouvre par ailleurs la porte à l'approfondissement de nos solidarités, en permettant la création de ressources propres nouvelles – inscrite noir sur blanc dans l'accord du 21 juillet – , qui permettront progressivement de mettre fin au sempiternel débat sur la juste contribution de chacun au budget européen et le juste retour, qui empoisonne la solidarité européenne. Nous y reviendrons sans doute. Ces ressources propres nouvelles, que nous devons mettre en place au plus vite, feront contribuer au marché européen, à notre budget européen, à nos politiques de solidarité, ceux qui actuellement profitent de l'Europe sans participer à l'effort collectif : les grandes entreprises numériques et ceux qui ne respectent pas les mêmes exigences que nos entreprises et que nos concitoyens en matière climatique et environnementale.

Sur ce sujet comme sur d'autres, la contribution de la France au budget de l'Union européenne est élevée et exigeante, au service d'une ambition forte pour l'Europe, celle de pouvoir porter dans le monde, sans faiblesse, ses priorités, ses valeurs et ses intérêts. Si, longtemps, ce discours a reçu peu d'écho au-delà de nos frontières, les préoccupations qui le sous-tendent me semblent désormais largement inscrites dans l'ADN européen. Quel que soit le nom qu'on leur donne, les questions de puissance ou de souveraineté sont omniprésentes et ouvrent des perspectives partout en Europe. Qu'il s'agisse de la politique commerciale, de la politique numérique, de la politique industrielle – qui a longtemps été un gros mot et que le plan de relance permettra de faire accélérer – ou de la politique industrielle énergétique, l'Europe se met enfin à réfléchir différemment.

Enfin, compte tenu de l'ampleur de sa contribution, la France sera vigilante sur la bonne mise en oeuvre de ces priorités, notamment du plan de relance adossé au budget, pour que, dès le premier semestre 2021, se mettent en place ces financements au service de nos régions, de nos priorités, de notre relance.

La France peut être fière de contribuer à cette Europe qui prend enfin en main sa puissance, sa souveraineté et son destin. Je sais que l'examen de la contribution française va être l'occasion, ce qui est sain, d'avoir un débat démocratique sur les priorités européennes et la façon qu'a la France d'y contribuer avec ses partenaires. Ce débat va commencer dans un instant.

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