Intervention de Sabine Thillaye

Séance en hémicycle du lundi 19 octobre 2020 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Article 31 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes :

L'augmentation, cette année, du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne n'est pas une surprise. Face au départ du Royaume-Uni et à la crise sanitaire et économique dramatique, nous devons assumer pleinement cette augmentation qui traduit le choix du maintien de l'ambition européenne.

Je suis toujours très surprise que certains de nos collègues s'obstinent à déposer des amendements pour diminuer le montant de l'évaluation de ce prélèvement. Il ne s'agit pas en effet d'un plafond de dépenses, comme pour les missions de la seconde partie du PLF, mais d'une information du Parlement sur la somme due par la France au budget de l'Union en application de la décision sur les ressources propres : modifier ce montant ne modifierait en rien le montant du prélèvement dû par la France en application de ses engagements internationaux ; le proposer est donc de la pure démagogie, a fortiori quand on demande parallèlement plus d'argent à l'Union européenne pour nos agriculteurs ou nos pêcheurs.

Cette prévision sera certainement, comme chaque année, soumise à une révision significative en fonction des dépenses effectivement réalisées et du rendement des recettes des droits de douane et de TVA, puisque la ressource dite « RNB », qui constitue la plus grande partie du PSR, est une ressource d'équilibre. Mais l'incertitude pesant sur l'évaluation du prélèvement sur recettes est encore plus forte cette année que d'habitude.

Elle est d'abord économique : le ralentissement de l'activité conduit à une baisse des recettes issues des droits de douane et de la TVA, ce qui induit mécaniquement une augmentation de la contribution sur le revenu national brut, dans un contexte où, parallèlement, l'Union augmente ses dépenses pour aider les États, les entreprises et les citoyens européens à faire face à la crise. Celle-ci touchant inégalement les États membres, elle peut également conduire à une modification à la marge des équilibres des contributions fondées sur le revenu national brut.

La deuxième grande incertitude entourant l'évaluation du prélèvement sur recettes est de nature plus politique : le retard pris dans l'adoption du cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 nous conduit malheureusement à devoir mettre la charrue avant les boeufs. Le budget de l'Union pour 2021, le premier du cadre financier pluriannuel, a dû être élaboré avant l'adoption de ce dernier. La contribution de la France a été évaluée sur la base du projet de budget de la Commission, révisé par la présidence allemande pour tenir compte de l'accord trouvé lors du Conseil européen de juillet. Elle est susceptible d'évoluer en fonction de l'accord final sur le CFP.

Alors que l'accord du Conseil européen sur le plan de relance et le cadre financier pluriannuel, en juillet, nous avaient non seulement procuré un soulagement mais avaient soulevé un vent d'espoir, l'évolution de la négociation suscite quelques inquiétudes. L'accord de juillet a été arraché au prix de concessions de part et d'autre mais aussi d'une certaine ambiguïté concernant le régime de conditionnalité visant à protéger le budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre. Si elle a permis d'aboutir à un accord au Conseil européen, cette ambiguïté n'a fait que repousser la solution d'une difficulté à laquelle nous restons confrontés.

Le Conseil européen est apparu divisé sur la proposition de règlement. Une minorité significative d'États membres s'est opposée au compromis proposé par la présidence allemande, certains menaçant même de bloquer la décision sur les ressources propres, qui doit être adoptée à l'unanimité, tant qu'ils ne sont pas satisfaits. Or il y a urgence : la situation économique et sociale est suffisamment grave pour que ne s'y ajoutent pas des retards dans le démarrage des programmes du budget européen et du plan de relance, sur lesquels les États membres se sont fondés pour élaborer leurs plans nationaux. Pour notre part, nous sommes prêts à ratifier rapidement la décision sur les ressources propres afin de permettre à la Commission européenne de lancer les emprunts nécessaires au financement du plan de relance.

Cette décision, sous réserve de son adoption finale et de sa ratification par tous les parlements nationaux, comprend plusieurs innovations importantes. C'est la première fois depuis la création de la ressource fondée sur le RNB qu'une nouvelle catégorie de ressources propres est créée, beaucoup de collègues l'ont relevé. Je salue ce premier pas vers une diversification des ressources propres de l'Union, qui vise à contribuer à la réalisation de ses objectifs en matière de transition écologique. Ce premier pas bienvenu reste toutefois modeste et il faut en reconnaître les limites. Tout d'abord il ne s'agit pas réellement d'argent frais mais d'une contribution nationale calculée selon une clé différente que la ressource fondée sur le RNB. Son objectif étant en outre de nous inciter à rattraper notre retard en matière de recyclage des emballages plastiques, son rendement est appelé à diminuer à mesure qu'elle atteindra son objectif de modification des comportements. Ce n'est donc pas une ressource d'avenir pour le budget de l'Union.

La deuxième innovation est autrement importante, au point que je la qualifierai de saut qualitatif : il s'agit de l'autorisation que la décision sur les ressources propres donnera à la Commission européenne d'emprunter sur les marchés 750 milliards d'euros pour financer le plan de relance, sous formes de prêts aux États à hauteur de 360 milliards d'euros et de dépenses à hauteur de 390 milliards d'euros. On peut certes partager les regrets suscités par cette décision sur les ressources propres. Nous sommes tous d'accord que le Brexit aurait dû conduire à la suppression des rabais. Or les cinq États membres, qui, en dehors du Royaume-Uni, bénéficiaient d'un rabais sont parvenus non seulement à les conserver mais à en augmenter le montant. C'est regrettable mais c'est aussi le prix de la négociation du plan de relance et de l'accord de crise ; toute négociation suppose des compromis, particulièrement quand on est vingt-sept autour de la table.

Il ne faudra évidemment pas attendre d'être au pied du mur, en 2028, pour se montrer plus ambitieux en matière d'introduction de nouvelles ressources propres. Je soutiens totalement la demande du Parlement européen d'un calendrier précis d'introduction de nouvelles ressources avant 2028 afin de pouvoir rembourser les intérêts et le capital de l'emprunt lié à Next Generation EU sans avoir à augmenter davantage les contributions nationales ni à diminuer le financement des programmes du budget européen.

Pour la durée du cadre financier pluriannuel 2021-2027, le financement du plan de relance n'a que des conséquences très limitées sur le prélèvement sur recettes. En effet, le budget européen ne financera que le paiement des coupons, tandis que le capital ne sera remboursé, sur la période, qu'à hauteur des montants non utilisés, comme prévu, pour le paiement des intérêts, ou grâce à de nouvelles ressources propres. À partir de 2028 en revanche, le remboursement du principal sera à la charge du budget de l'Union européenne, et un paquet de nouvelles ressources substantielles seront nécessaires pour éviter un rebond des contributions nationales, qu'il serait très difficile d'accepter après celui de cette année, sous l'effet du Brexit. Le sujet est difficile mais il y va de l'intérêt de tous les États membres.

Je ne reviendrai pas sur les ressources propres, qui ont été amplement évoquées par mes collègues. Comme je l'affirmais en introduction, nous devons assumer l'augmentation de la contribution française à un budget qui reflète le maintien de l'ambition européenne, mais nous devons aussi assurer le développement futur du projet européen. Le sujet sera à l'ordre du jour de la Conférence sur l'avenir de l'Europe qui devrait être lancée très bientôt. Ensemble, nous devons nous poser les bonnes questions : quelles sont les priorités de l'Union européenne ? quel doit être son cadre institutionnel ? comment pouvons-nous avancer ensemble, à vingt-sept ? Reconnaissons-le : pour vingt-sept États membres, qui parlent vingt-quatre langues, qui ont des histoires et des cultures parfois communes mais parfois aussi divergentes, il n'est pas toujours facile d'avancer. Pourtant, nous démontrons depuis des dizaines d'années que nous avançons, même si c'est compliqué. Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, j'ai à coeur que l'Assemblée nationale traite davantage de questions européennes, et j'espère que nous y arriverons. J'aimerais qu'un débat ait lieu dans l'hémicycle avant les réunions du Conseil européen, afin que tous les groupes parlementaires s'expriment sur les questions européennes, et que nous mettions celles-ci au coeur de nos préoccupations.

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