Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du mardi 20 octobre 2020 à 21h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Depuis trois ans maintenant, nous dénonçons les budgets de la sécurité sociale qui se succèdent, nous dénonçons les choix politiques qu'ils représentent, nous dénonçons l'affaiblissement de la sécurité sociale, nous dénonçons la casse de l'hôpital public. Ces budgets en ribambelle, les uns après les autres, nous ont conduits dans cet état de grande pénurie, de fragilité extrême, de dénuement face au surgissement du virus. Le Gouvernement a été rattrapé par le réel. La situation dans les hôpitaux est catastrophique : c'est le revers de la médaille d'une politique qui renonce à prendre l'argent là où il est.

Dans les établissements, la tension est palpable. La colère aussi ; elle est encore montée d'un cran, avec un brin de désabusement supplémentaire. Au moment où l'on constate une grande perte de sens, entendre la rengaine habituelle – « c'est un problème d'organisation » – exaspère. Vous avez beau répéter qu'aucun gouvernement n'a fait autant pour la santé, ça ne va pas. Le Ségur de la santé ne rattrape pas le retard pris pendant des années, ne concerne pas tous ceux qu'il devrait embrasser et ne saurait être présenté pour solde de tout compte. Il nous fait seulement passer de la vingt-deuxième à la dix-huitième place européenne pour la rémunération des infirmières. Mais le personnel continue à s'en aller, ne souhaitant pas persister à vivre ce jour sans fin.

Dès le mois de mars, il aurait fallu engager un grand plan de recrutement et de formation pour ajouter du personnel dans les hôpitaux, accompagné d'un grand plan d'investissement matériel en lits de réanimation et en lits en général. Il y avait, dans l'urgence, des actes forts à poser pour anticiper, pour commencer à changer de trajectoire. Ce sont 3 400 lits qui ont été fermés en 2019 et 4 200 en 2018, 100 000 en vingt ans, tandis que vous annoncez généreusement 4 000 créations en 2021, dont nous ne savons pas grand-chose. C'est donc un budget en trompe-l'oeil ; vous y ajoutez quelques touches par des amendements, parce que vous savez que ça ne suffit pas.

Il contient quelques mesures positives, comme l'allongement du congé de paternité ou de parentalité et la diminution du rôle de la T2A. Néanmoins, le problème, c'est que le Gouvernement continue à ne pas tirer les leçons de l'épreuve et, trop souvent, à se contenter d'affichage.

Les dépenses exceptionnelles de financement des tests et des soins pour lutter contre le covid-19 ont été inscrites dans le budget, ainsi que les mesures insuffisantes et inégalitaires du Ségur de la santé. Il y a quelque temps, nous aurions pris cette entorse à votre doctrine pour de la science-fiction, mais vous en restez à la série B. Une fois mises de côté ces lignes de financement qui s'imposaient, le budget ressemble étrangement au précédent : on continue à compresser le reste du financement, avec 4 milliards d'efforts demandés, dont 800 millions à l'hôpital.

Vous annoncez l'effacement d'un tiers de la dette des hôpitaux, qui plombe leurs ressources ; toutefois, dans le même temps, vous la conditionnez à, je cite, « des engagements d'assainissement de la situation financière ». Les CREF – contrats de retour à l'équilibre financier – et autres COPERMO – comités interministériels de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers – continuent de courir ; c'est proprement insensé. Si l'on regarde plus loin, c'est assez logique puisque vous souhaitez maintenir le cap de l'assèchement des ressources de la sécurité sociale, chargée de surcroît depuis quelques mois d'une dette covid indue et de l'affaiblissement du principe même de la cotisation. Vous essayez de régler le problème de l'hôpital à côté de l'hôpital, au lieu d'annoncer une nouvelle ère, avec l'ouverture de nouveaux services, de lits, de postes – pas en CDD – et une meilleure articulation avec la ville et l'ensemble du système de santé.

Dans ce projet de budget, on trouve également la mise en acte de la décision, prétendument historique, de créer une cinquième branche, dédiée à l'autonomie. Là encore, toutes les cases sont cochées : on n'est pas au rendez-vous des attentes, on se contente d'un jeu de vases communicants, on peine à définir le périmètre, on est dans le marketing, on ne règle pas la situation des EHPAD, etc. Après en avoir fait de même pour la réforme des retraites – que la lucidité devrait conduire à abandonner au lieu de s'entêter – , on nous dit que c'est la grande réforme sociale du quinquennat. Tout cela, vous en conviendrez, est peu rassurant.

Au fond, en traçant les lignes de perspective, on se rend compte que la sécurité sociale devient un instrument de secours public et qu'elle est utilisée comme une variable d'ajustement conjoncturel des politiques économiques. Au moment où l'on fête ses 75 ans, comment ne pas s'interroger sur ces orientations, qui dessinent une société moins protectrice et moins solidaire, où les patients, pourtant ayants droit, sont toujours plus regardés comme des clients potentiels pour le marché ? La période nous a montré combien la santé devait être au premier rang des priorités et combien une protection sociale de haut niveau était nécessaire pour faire face aux aléas. Nul n'est besoin de dépiauter ce projet de budget trop longtemps pour mesurer qu'il se détourne de ces aspirations qui se sont imposées comme des évidences. À défaut de faire les choix nécessaires, on utilise nos libertés publiques comme levier de santé publique, et l'égalité s'en trouve malmenée.

Nous avons besoin d'un budget qui permette de davantage prendre soin, qui défende une ambition sociale renouvelée et qui redonne du sens à l'intervention publique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.