Intervention de George Pau-Langevin

Séance en hémicycle du samedi 24 octobre 2020 à 9h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

L'immense majorité de nos concitoyens s'y résignent, même si quelques-uns s'émeuvent du tour que cette peur de la mort fait prendre à notre démocratie. C'est pourquoi, même si nos débats réitérés peuvent vous sembler pesants, monsieur le ministre, il faut avoir à l'esprit un principe que rappelait encore récemment la Revue politique et parlementaire : la distinction entre démocratie et dictature réside justement dans la délibération et la controverse, qui permettent de discuter les mesures prises, et par conséquent, de s'assurer du consentement formel de peuples libres aux décisions de leur gouvernement. C'est par les représentants du peuple – donc, par le Parlement, par nous – que ce débat doit passer ; nos objections et nos questions sont donc légitimes. On ne saurait se satisfaire d'un régime où le pouvoir législatif serait sommé d'avaliser après coup, sans discuter, des décisions annoncées par l'exécutif dans les médias – même si l'exécutif est mû, nous le savons, par l'idée qu'il fait le bien du peuple. Nous ne pouvons pas vivre dans une république des experts, car non seulement les experts ne sont pas d'accord entre eux – les débats à la télévision le montrent – , mais encore, ils ne sont pas chargés de protéger les libertés fondamentales du peuple : cela est de notre responsabilité, et nous devons l'assumer.

Le présent projet de loi vise à donner les coudées franches au Gouvernement pour mieux endiguer la propagation du virus. Il semble effectivement inévitable de prendre de nouvelles mesures de restriction pour sauver des vies. Nous ne contestons pas la mesure phare du texte : la possibilité d'instaurer des confinements et des couvre-feux, limitant la liberté d'aller et venir. Toutefois, le texte nous demande que, durant six mois, le Gouvernement puisse prendre des mesures restreignant fortement, voire totalement, des libertés fondamentales, sans que le Parlement ait son mot à dire. On nous assure que ces mesures seront strictement proportionnées et nécessaires : peut-être, mais pourquoi écarter le Parlement, alors que ces dernières semaines, et même ce week-end, les députés siègent en séance, sont présents en commission et sont disponibles pour travailler ?

À l'occasion du précédent projet de loi, le Conseil constitutionnel avait émis des réserves quant à l'habilitation de certaines personnes à accéder aux données personnelles des Français dans un système d'information. Pourtant, le présent projet de loi prévoit d'étendre à d'autres personnes encore la possibilité d'accéder à des données sensibles. Par ailleurs, vous nous demandez un blanc-seing pour légiférer par ordonnance sur tous les sujets ou presque – économiques, régaliens, administratifs, médicaux, relatifs à l'organisation de la vie publique – , et ce, durant six mois. Nous ne pouvons pas accepter que le Parlement soit ainsi écarté du processus législatif – vous le comprendrez certainement. Il y va du respect de la séparation des pouvoirs, fondement même de notre démocratie.

Vous avez pris des décisions très positives que nous accompagnons depuis plusieurs mois, comme les mesures de soutien économique et le chômage partiel, mais vous devez prendre en considération que ce nouveau projet de loi intervient à un moment où notre société est déjà malade, soumise à d'autres épreuves comme les perturbations climatiques ou le terrorisme intégriste. Nos citoyens sont exténués et ne peuvent accepter une telle réponse.

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