Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mardi 27 octobre 2020 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Administration générale et territoriale de l'État ; sécurités ; contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Le budget de la mission « Sécurités » est en hausse de 1 %, atteignant près de 20,7 milliards d'euros ; 2 000 postes supplémentaires de policiers et de militaires de la gendarmerie, sur les 10 000 promis pendant le quinquennat, viendront renforcer les forces de sécurité intérieure. Le chemin est long, mais il semble bien tracé.

Nous suivons la même trajectoire concernant les emplois dans les services de renseignement puisque la barre des 9 000 agents serait franchie l'an prochain, ce qui correspond aux besoins. En revanche, il semblerait que le renseignement manque des moyens budgétaires lui permettant d'investir et de renforcer la capacité des agents à remplir leurs missions, notamment en organisant des formations complémentaires et en acquérant du matériel, ce qui serait très utile compte tenu de la nature de plus en plus protéiforme des menaces auxquelles ils doivent faire face. Les terribles attentats survenus sur notre territoire ont en effet cruellement démontré la nécessité de faire du renseignement une priorité. Je suis convaincue, monsieur le ministre, que vous saurez entendre cette demande.

Par ailleurs, les forces de sécurité sont sur tous les fronts : lutte contre le terrorisme, lutte contre la criminalité, action contre l'insécurité et la délinquance du quotidien, maintien de l'ordre. Elles doivent en outre, désormais, veiller au respect des mesures sanitaires et sont chargées de délivrer les amendes forfaitaires pour l'usage du cannabis. Les augmentations de moyens financiers et humains que vous annoncez seront-elles à la hauteur de ces enjeux ?

Vous dites souvent, monsieur le ministre, que la priorité de votre action est le quotidien du policier et du gendarme. Vous avez raison, tant les forces de l'ordre assurent leurs missions en flux tendu.

Ce qui est en question, c'est bien le sens de leur mission. À ce titre, il est impératif de revenir sur la fameuse politique « du chiffre ». Nombreux sont les agents qui ont le sentiment de ne pouvoir faire leur travail correctement car on leur demande non pas d'atteindre des objectifs, en leur laissant le choix des moyens pertinents pour y parvenir, mais de remplir des cases, ce qui se traduit par des tableaux couverts de petits bâtonnets, tableaux ajustés en fonction des priorités politiques. Ainsi les forces de l'ordre sont-elles contraintes de privilégier l'interpellation sur l'investigation ou sur la récupération d'éléments qui permettrait de mieux judiciariser et résoudre les enquêtes. Souvent, à peine interpellés, les mêmes sont relâchés, faute de preuves ; l'impuissance prend alors le dessus.

Vous préparez également une réforme de la formation initiale et continue. Comme vous le savez, la durée de la formation initiale a été réduite, notamment depuis la crise sanitaire, ce qui affecte la qualité du recrutement. On en connaît les conséquences. Quant à la formation continue, obligatoire et absolument nécessaire, elle prend souvent la forme, pour les policiers, de trois malheureuses heures par an, en moyenne, car l'opérationnel prend toujours le dessus, faute d'effectifs suffisants, dans la police comme dans la gendarmerie.

Les centres d'entraînement au tir, s'ils ont été préservés dans la gendarmerie, ont pratiquement disparu dans la police, avec les conséquences que l'on imagine.

Les refus d'obtempérer se multiplient, et la vie des forces de l'ordre est mise directement en jeu.

Ces inquiétudes, cette fatigue psychologique et physique, accumulées, peuvent aussi s'expliquer par l'application d'une doctrine du maintien de l'ordre qui a montré ses limites sur le terrain et dans les commissariats. Selon un tout récent rapport d'Amnesty International, entre le 17 novembre 2018 et le 12 juillet 2019, dans le seul cadre des manifestations de gilets jaunes, 11 203 manifestants ont été placés en garde à vue, plus de la moitié d'entre eux n'ayant finalement fait l'objet d'aucune poursuite. En revanche, face à des black blocs et à de vrais casseurs, ou bien dans certains quartiers, il a pu leur être demandé de ne pas intervenir. Certaines unités de police ont été amenées à utiliser des lanceurs de balles, alors même que leur formation n'était pas adaptée au maintien de l'ordre dans le cadre de manifestations.

Vous avez récemment publié un nouveau schéma du maintien de l'ordre, que nous attendions depuis des mois et qui semble prendre en compte les différents problèmes apparus depuis 2015, afin de préserver le difficile équilibre entre liberté et sécurité, protection des manifestants mais aussi des policiers ; il prend notamment en compte le principe de désescalade et l'impératif d'une meilleure communication sur le terrain, avec des dispositifs très concrets. C'est une bonne chose mais nous voulons savoir si des moyens adaptés en matière de matériel et de formation y seront bien consacrés. D'autres formes de violence nécessitent également une action résolue. Selon le bleu budgétaire, le nombre de victimes de violences physiques non crapuleuses et de violences sexuelles a bondi, passant en zone police de 262 000 en 2018 à 276 000 en 2019 ; de même, le nombre de cambriolages a augmenté de 50 %.

Les missions de la sécurité civile assurées par les sapeurs-pompiers évoluent, quant à elles, très rapidement, induisant de fortes tensions. Une proposition de loi devrait être débattue dans les prochaines semaines : elle sera la bienvenue car la situation actuelle est révélatrice de l'inadaptation de notre système de sécurité civile aux évolutions en cours, puisque les interventions se concentrent désormais sur les premiers secours – 85 % des interventions des pompiers relèvent de l'assistance à la personne.

Enfin, nous notons que les crédits alloués à la sécurité routière sont en baisse de près de 10 %. Lorsqu'on sait que le coût total de l'insécurité routière est estimé à 50,9 milliards d'euros en 2019, selon le bilan de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, on peut légitimement se demander ce qui explique cette baisse de crédits.

En définitive, si les députés du groupe Libertés et Territoires se réjouissent de l'évolution globalement à la hausse du budget de la mission « Sécurités », ils ne sont cependant encore totalement convaincus ni de sa parfaite adéquation aux enjeux ni de la pertinence de la répartition des crédits. Un changement de logiciel et une évolution des pratiques sont nécessaires pour redonner du sens aux missions de tous ceux qui sont sur le terrain. C'est la raison pour laquelle notre groupe s'abstiendra.

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