Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 27 octobre 2020 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Administration générale et territoriale de l'État ; sécurités ; contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

« Oui, nous serons prêts. » C'est le Président de la République qui s'exprimait ainsi, le 14 juillet. « Nous serons prêts pour la deuxième vague. » Le ministre de l'éducation approuvait en Dupont : « Nous sommes préparés à tout » ; et sa Dupond, en charge de l'enseignement supérieur renchérissait : « Les établissements sont prêts. » Sans compter notre La Palice, Premier ministre, qui, en septembre, préconisait de se laver régulièrement les mains et qui, ce samedi encore, donnait ses recommandations : « Le meilleur moyen de soulager l'hôpital, c'est de ne pas tomber malade. »

Tout allait bien, madame la marquise. Mais soudain le couvre-feu, l'état d'urgence, les ordonnances, et bientôt, ce vendredi, le reconfinement. La police de nouveau en première ligne, à délivrer des amendes de 135 euros – six mois de prison après trois infractions. Des restrictions aux libertés inédites en temps de paix, pointe le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Ce printemps, ça se comprenait : nous étions pris par surprise, par un virus inconnu, débarqué de Chine. Vous agissiez, réagissiez dans l'urgence, d'où notre clémence. Mais cet automne, six mois après, six mois au cours desquels se préparer : à nouveau les hôpitaux pleins, le manque de lits, la pénurie de soignants, de gants et, qui sait, de médicaments… Et ce tweet qu'un médecin vient de publier : « Bonjour Christophe, urgent : j'ai besoin de toi. Mon beau-père, 82 ans, hospitalisé pour covid-19. L'hôpital vient de nous dire qu'ils ne pourront pas le mettre en réa, vu son âge : priorité aux jeunes. Mais franchement, c'est honteux ! Peux-tu m'appeler, s'il te plaît, on a besoin d'aide. »

Telle la cigale de la fable, vous avez chanté tout l'été, et nous voilà fort dépourvus quand la bise fut venue. Vous avez chanté « croissance », vous avez chanté « Faites-nous confiance », vous avez chanté « Laissez-nous gérer », et c'est parce que nous vous avons obéi, parce que nous vous avons fait confiance, que nous sommes dans la mouise aujourd'hui. Parce que nous vous avons laissé gérer seuls, dotés des pleins pouvoirs, les décisions tombées d'en haut, de l'Élysée ou de Matignon, l'état d'urgence, au nom de l'urgence pour les urgences. La démocratie, ça aurait ralenti, ça aurait entravé vos mesures – « nous n'avons pas besoin d'un colloque », me suis-je entendu répondre, samedi. En une formule, tout est dit.

La France compte une somme d'intelligences énorme : infectiologues, épidémiologistes, ambassadeurs, anthropologues, journalistes scientifiques, chercheurs en tous genres, statisticiens, historiens, responsables d'ONG, grands reporters, médecins, enseignants, soignants, étudiants, commerçants… mais toute cette intelligence ne compte pour rien, nous n'avons pas besoin d'un colloque ; vous savez, vous savez seuls, pas besoin de nous, pas besoin des Français. C'est le prix de votre suffisance que nous payons aujourd'hui.

L'autre chemin, la solution alternative à votre solitude, c'est la démocratie. Mais comment ? Ici, d'abord. Chaque semaine, voire chaque jour, vous auriez dû, vous devriez rendre des comptes sur les ouvertures et fermetures de lits, sur les places restantes. Cela aurait voulu dire affronter les exposés concrets des députés, les questions rugueuses de l'opposition, mais ces coups de pied au derrière vous auraient fait réfléchir et avancer.

Au passage, je vous le dis d'avance, le débat que vous prévoyez jeudi ne me suffit pas. Ce n'est pas une fois mais dix fois, cent fois, tous les jours, que nous devrions débattre ici de ces sujets. Mais nous sommes dans un univers parallèle, une cinquième dimension où se déroulent des discussions pépères sur la TVA des produits de biocontrôle, tandis que dehors est déclaré, sans contrôle cette fois, le couvre-feu.

Mais l'Assemblée ne suffit plus, elle n'incarne plus la démocratie, elle ne représente plus à elle seule le peuple français. Il faut une autre instance, plus vaste, plus neuve, et je souhaiterais pour ma part une Convention citoyenne sur le coronavirus, où se mêleraient infectiologues, épidémiologistes, ambassadeurs, anthropologues, journalistes scientifiques, chercheurs en tous genres, statisticiens, historiens, enseignants, soignants, étudiants, commerçants, lors de séances filmées et diffusées en direct sur internet, pour informer le peuple et l'éclairer. Cette intelligence collective saurait envisager mille fois plus d'options et de solutions que le président seul en son palais, quand bien même ce serait à lui, à la fin, de trancher.

Comme il est curieux que vous vantiez partout le numérique et ajoutiez du digital à toutes les lignes de crédit : vous vous revendiquez disruptifs mais dès lors qu'il s'agit de votre pouvoir, c'est à l'ancienne, la voie archaïque de l'autorité et de la verticalité.

On le pressent, on le devine, on le sait intimement : ce covid-19 n'est qu'un début, une répétition générale, un échauffement avant le réchauffement. Inondations, tornades, sécheresses vont se succéder, les dix plaies d'Égypte seront pour nous : la nature est déréglée, elle va se venger, déjà elle se venge !

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