Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du vendredi 6 novembre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Culture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Cinémas et musées fermés, théâtres et discothèques fermés, librairies fermées, spectacles et festivals annulés : la liste est tristement longue. Ne nous le cachons pas, le monde de la culture est en grande souffrance. Déjà sonné par la première vague, le voilà au bord de la noyade avec le second confinement et ses arbitrages contestés sur la définition des biens essentiels. Étrange chose que ce pays de l'exception culturelle où l'on a tant de mal à admettre la place essentielle des biens culturels dans le quotidien de nos concitoyens…

Pourtant, rappelons-le, les lieux de culture n'ont été source d'aucun cluster de contamination. Ils ont assumé leurs responsabilités, fait preuve d'inventivité et continué à se battre coûte que coûte pour soutenir leur filière, leurs artistes, leurs salariés, leurs indépendants et leurs intermittents.

Madame la ministre, vous avez montré votre attachement au secteur culturel en augmentant le budget de 5 % par rapport à 2020 et en présentant un plan de relance de 2 milliards, mais nous craignons que cela ne suffise pas face à la crise et à ses incertitudes. Si les pertes sont estimées aujourd'hui à 22 milliards, nous ne mesurons pas encore, et vous le savez, toute l'ampleur de la catastrophe. Quant au plan d'urgence, nous craignons qu'il soit davantage un plan de soutien qu'un véritable plan de relance. Le quatrième projet de loi de finances rectificative, le PLFR 4, devra de nouveau venir en soutien des secteurs sinistrés.

Dans ce contexte, les députés du groupe Socialistes et apparentés tiennent à insister sur plusieurs points qui appellent de la vigilance. En premier lieu, notre inquiétude porte sur la reprise de l'activité culturelle en août 2021, déterminante pour les intermittents du spectacle, et sur les modalités de mise en oeuvre de l'année blanche. Une année suffira-t-elle à sauver les 260 000 intermittents ?

Nous nous préoccupons ensuite de la situation des collectivités. Ces relais essentiels de la diffusion culturelle ne bénéficient que de 40 millions dans le programme du fonds incitatif et partenarial sur les 2 milliards du plan de relance et de 2 millions de dotation pour l'appel à projets « quartiers culturels et créatifs ». Les efforts en direction des collectivités doivent être accentués et un équilibre recherché. Le soutien indispensable aux grands opérateurs ne doit pas se faire à leur détriment. Il passe notamment par le maintien des aides décentralisées en direction des directions régionales des affaires culturelles – DRAC – afin de maintenir les réseaux, les festivals et les résidences dont nos territoires ont besoin.

Le maillage territorial est également assuré par nos écoles d'art territoriales, dont la plupart sont des établissements publics à caractère industriel et commercial – EPIC. Un soutien clair des politiques publiques est nécessaire en leur faveur, non seulement pour rééquilibrer les inégalités statutaires, mais aussi pour donner à l'enseignement supérieur public les moyens de jouer à armes égales avec les acteurs privés, de rappeler les enjeux et d'affirmer les ambitions de la France dans ce domaine. Les conservatoires font également partie de ce maillage et des éclaircissements sont nécessaires quant au soutien dont ils bénéficieront à l'avenir. Les services du ministère de la culture prévoient une réforme des conservatoires, mais le budget qui nous est présenté n'en dit rien.

Les députés du groupe Socialistes et apparentés sont très attachés à l'accès à la culture et à sa démocratisation. La présence d'oeuvres d'art dans l'espace public joue un grand rôle pour éviter le cloisonnement des lieux de culture et devrait être favorisée. Si le dispositif « 1 % artistique » a été pensé dans ce but, son efficacité est à revoir.

De même, nous soutenons la poursuite d'actions fortes autour des politiques de démocratisation de la culture par le biais de l'éducation artistique et culturelle – EAC. Toutefois, nous restons mitigés sur les indicateurs de suivi utilisés pour juger de son efficacité. Le fait de permettre la rencontre entre une oeuvre et un élève au moins une fois dans la scolarité peut-il s'assimiler à une entreprise de démocratisation de la culture ? Faire entrer l'art à l'école, bien sûr, mais en construisant de véritables parcours d'éducation artistique et culturelle ! Pour cela, nous devons diffuser les langages qui permettent la transmission et la compréhension des oeuvres et rapprochent les publics les plus éloignés des belles choses du monde.

Aussi, cette année encore, ne croyons-nous pas que les 57 millions dédiés au pass culture en 2021 atteindront leur cible. La plupart des enquêtes démontrent que cet outil n'est utilisé qu'à la marge par les élèves des milieux socioprofessionnels défavorisés. Il y a là comme un impensé de notre système éducatif qui, dans sa vision étriquée du temps scolaire, s'obstine à ne pas considérer les enseignements artistiques comme fondamentaux, capables de remédier aux difficultés d'apprentissage et de transformer les esprits.

Notre groupe est par ailleurs très inquiet des milliers d'emplois artistiques qui sont menacés. Les 5 millions supplémentaires du budget du FONPEPS risquent fort de ne pas suffire à sauver tous les emplois. Un soutien plus fort est indispensable pour maintenir ces emplois faits de compétences multiples et consolider de manière pérenne ce tissu économique.

Outre cette menace, les conditions de précarité qui pèsent sur les artistes-auteurs, interprètes et compositeurs sont injustifiables. Il est urgent de remettre à plat l'économie de ce secteur, dans laquelle, trop souvent, on ne tient pas compte du processus de création, mais du seul système de diffusion. L'inadaptation de la fiscalité et des droits sociaux aux réalités multiformes des artistes-auteurs ne peut perdurer. Les différents régimes et statuts ont d'ailleurs révélé leurs failles lors de la crise : les dispositifs mis en place par le Gouvernement ont peiné à les reconnaître et à les prendre en charge.

Et puis il y a le secteur des métiers d'art, véritable richesse nationale qui, avec 0,56 million d'euros de crédits déconcentrés supplémentaires, a bien du mal à affronter la crise.

Enfin, je veux évoquer les grands oubliés des plans de relance : les intermittents des secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de l'événementiel, soit plus de 20 000 personnes qui ne rentrent dans aucune case mais qui, pourtant, participent pleinement à l'économie et au dynamisme du monde culturel.

Pour conclure, madame la ministre, le groupe Socialistes et apparenté reconnaît l'ampleur des efforts consentis. Une fois n'est pas coutume, parce que nous faisons le pari de la confiance et parce que nous soutenons votre action pour la culture, nous voterons en faveur du budget qui lui est consacré.

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