Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du lundi 16 novembre 2020 à 16h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Le texte dont nous discutons s'inscrit dans cette inflation législative, donc dans une continuité : ces trente dernières années, seize lois ont déjà été adoptées contre le terrorisme, auxquelles s'ajoutent trente-deux lois de lutte contre la délinquance. Nous voyons bien que, malgré toutes ces lois, invariablement présentées comme la réponse définitive à nos difficultés, le problème n'est toujours pas réglé.

Quel est alors le problème, lorsque les moyens humains ne suffisent pas ?

Mme la ministre déléguée a par exemple évoqué les périmètres de protection mis en place par les préfets. Or la mission de contrôle et de suivi de la loi SILT, constituée par le Sénat et qui a présenté ses conclusions le 26 février 2020, nous apprend que, faute de moyens, le contrôle des périmètres de protection est souvent confié à des sociétés privées et non à la police ou à la gendarmerie : seuls 12 % d'entre eux sont sous la responsabilité de forces de police. Nous considérons pourtant tous, je crois, que l'intervention de policiers, dont c'est le métier et qui sont qualifiés pour le faire, est préférable à celle de simples agents privés qui, pour des raisons que chacun peut comprendre, n'ont pas les compétences requises pour assurer une sécurité vraiment de qualité.

Autre exemple, une étude nous indique qu'entre 2017 et 2019, sur 149 visites domiciliaires, une seule a permis de déjouer un attentat terroriste – et chacun considère que, dans cet unique cas, le renseignement humain aurait très bien pu parvenir au même résultat, puisque le terroriste potentiel avait consulté un tutoriel sur internet pour apprendre à fabriquer le matériel nécessaire à son acte. Ce dispositif exceptionnel de visites domiciliaires ne nous a en aucune manière apporté de résultats significatifs.

Les techniques de renseignement dites « de l'algorithme », que M. le rapporteur a évoquées, n'ont pas non plus donné de résultats significatifs à ce jour, bien au contraire. Nous nous étonnons donc de la logique du texte que vous nous présentez, consistant à dire : « Ces techniques n'ont pas bien fonctionné, mais il faut aller plus loin pour qu'elles fonctionnent, même si nous ne disposons pas pour le moment d'éléments significatifs permettant de garantir leur efficacité. » En vérité, aucune étude ne nous permet d'établir un bilan à ce stade, mais un article du Monde d'octobre 2019 expliquait, citant une source du ministère de l'intérieur, que, sur cinquante-neuf attentats déjoués, cinquante-huit l'avaient été grâce à l'intervention de sources humaines, et nullement par l'utilisation de ces algorithmes.

Quel triste bilan ! Vous connaissez nos propositions, que je réaffirme à cette tribune : nous sommes favorables à une répression ciblée et surtout à un renforcement du renseignement humain, au développement de l'infiltration, au renforcement des effectifs et à l'amélioration des conditions de travail des forces de l'ordre. Notre doctrine repose sur un triptyque assez simple : prévention, répression, réparation. Nous n'avons cessé de le proposer, notamment en demandant une loi permettant le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires ; je disais aussi à l'instant que nous demandions davantage d'effectifs pour le dispositif PHAROS, et je salue le fait que le ministre de l'intérieur ait fini par prendre la décision qui s'imposait.

Mme la ministre déléguée, vous m'avez interpellé à la suite d'un commentaire que j'ai formulé ce matin à la radio en relation avec ce qui est arrivé à la jeune Mila. Puisque vous êtes en face de moi, j'insiste : l'affaire est certes choquante – je me suis déjà prononcé sur le fond, avec une force telle que je trouve curieux que vous ne l'ayez pas entendu – , mais il faut surtout renforcer le dispositif permettant de sanctionner certaines interventions sur les réseaux sociaux. Je considère que votre rôle de membre du Gouvernement ne consiste pas seulement à nous dire qu'il y a là quelque chose de choquant, ce que l'ensemble des Français approuve ; vous devez montrer que les auteurs de ces menaces sont sanctionnés dans les plus brefs délais, afin de produire un effet dissuasif.

Ce qui est dissuasif, ce ne sont pas les commentaires systématiques d'une ministre déléguée dans les médias ; c'est le fait que les coupables soient châtiés. Plutôt que de médiatiser les affaires, montrons de quelle manière quiconque menace un de nos concitoyens sera réprimé. Soyez convaincue que je me suis prononcé sur le fond, et je n'aime pas – permettez que je vous le dise clairement – que vous sous-entendiez que je ne le fais pas lorsqu'un de nos concitoyens est menacé. Cette sorte de suspicion généralisée, qui vise à faire porter le soupçon sur vos opposants et à en faire les complices d'assassins, n'est pas agréable.

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