Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du lundi 16 novembre 2020 à 16h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Voilà près de dix ans qu'une guerre de conquête nous a été déclarée, sur notre sol national, par l'ennemi islamiste. En prenant une nouvelle fois la parole dans notre hémicycle, je veux redire combien le nécessaire réarmement juridique et opérationnel de la France doit être conduit avec constance, compétence et sérieux, en refusant de céder à l'outrance et au simplisme.

Je n'ai donc aucune difficulté à approuver ce projet de loi technique, qui n'est qu'un texte de transition. Mais je voudrais surtout, comme président de la mission d'évaluation du cadre juridique des services de renseignement, aux côtés de mes collègues Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, indiquer dans quelle direction me semble devoir être préparé sans tarder le futur projet de loi.

Nous devons, en premier lieu, préserver l'architecture française du renseignement, qui a été refondée en deux étapes majeures : d'abord, dès 2007, sous l'impulsion du président Nicolas Sarkozy, avec la création d'une véritable communauté des services de renseignement pilotée à l'Élysée par le coordonnateur national, sous le regard de la délégation parlementaire au renseignement ; ensuite, en 2015, sur l'initiative du chef du gouvernement Manuel Valls, avec la refonte des techniques de renseignement, lesquelles ne peuvent être mobilisées, à la demande d'un service, que par une décision individuelle du Premier ministre, après avis d'une autorité administrative indépendante, la CNCTR – Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Ainsi réorganisés et dûment contrôlés, nos services de renseignement ont démontré leur capacité d'anticipation et d'entrave : depuis cinq ans, la France a certes été frappée, hélas, par vingt attentats, mais ce sont au total soixante et un projets d'attaque qui ont été déjoués depuis 2013, grâce à l'action coordonnée des services. À cet égard, la politique conduite depuis 2017 s'est inscrite dans la continuité des deux quinquennats précédents. J'ai la conviction que cette continuité républicaine et opérationnelle, qui fait l'honneur des partis de gouvernement, doit être poursuivie sans faiblesse.

C'est dans cet esprit, en second lieu, que nous devrons doter nos services des nouveaux moyens juridiques, technologiques et humains indispensables à leur action. Il me paraît urgent que la technique de l'algorithme, que nous nous apprêtons à prolonger, soit rapidement enrichie afin d'être enfin appliquée à internet, en analysant les adresses des sites, c'est-à-dire les URL, et non pas seulement les données téléphoniques. Cette extension aux URL devra également s'appliquer au recueil de données de connexion en temps réel ciblé sur les individus en lien direct avec une menace terroriste, comme les djihadistes sortant de prison. De même, je crois que nous devrons rapidement autoriser nos services à entraîner des systèmes d'intelligence artificielle à partir de données réelles.

Parallèlement, il est vital de continuer à investir dans les ressources humaines du renseignement. La DGSE – direction générale de la sécurité extérieure – a gagné 1 300 agents en dix ans. À la fin du présent quinquennat, 2 000 agents supplémentaires auront rejoint la DGSI – direction générale de la sécurité intérieure. Je me réjouis que les dernières lois de finances aient permis cette première évolution, mais elles devront être complétées : en plus des recrutements d'analystes et de techniciens à la DGSI, nous devrons accroître significativement notre capacité d'infiltration sur le sol national, dans les territoires et les groupes représentant une menace pour la sécurité, à l'instar de ce que certains pays alliés, comme Israël, ont su développer pendant les dernières décennies.

J'en viens à ma troisième et dernière remarque. Nos efforts nationaux pour continuer à accroître l'efficacité de nos services de renseignement seraient vains s'ils étaient affaiblis par les effets néfastes d'une jurisprudence européenne hasardeuse. Dans sa décision du 6 octobre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne rend aléatoire et parcellaire la conservation des données de connexion par les opérateurs de télécommunications. Ce faisant, la Cour de Luxembourg fragilise la capacité de nos services à recueillir et à analyser ces données, au risque de les rendre sourds et aveugles. Ce n'est pas acceptable : il paraît indispensable qu'une initiative soit prise au plus haut niveau de l'Union, c'est-à-dire à celui du Conseil européen, afin de rappeler que la sécurité nationale relève de la seule compétence des États, comme le dispose l'article 4 du traité sur l'Union européenne. Nous n'avons pas à transposer en droit français l'arrêt de la CJUE ; nous devrons nous y opposer, dans l'intérêt national.

Dans les circonstances présentes, rien ne doit entraver la capacité de la France à combattre l'ennemi islamiste. Nos services de renseignement sont notre premier rempart pour anticiper et conjurer la menace. Le devoir du Parlement comme du Gouvernement est donc de les conforter sans tarder. Réarmer l'État de droit pour vaincre l'islamisme, c'est le combat de notre génération. Soyons constants et surtout ne perdons pas de temps.

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