Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du mardi 17 novembre 2020 à 15h00
Programmation de la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Après de longs débats en commission et dans cet hémicycle, le groupe Socialistes et apparentés s'est opposé à ce projet de loi de programmation pluriannuelle de la retraite en première lecture, en commission, puis en séance. Nous avons déposé plus d'une centaine d'amendements, par exemple pour supprimer les chaires d'excellence, pour préserver le recrutement national des enseignants-chercheurs ou pour assurer les libertés académiques. Nous avons même présenté un contre-projet pour atteindre enfin le seuil de 1 % du PIB consacré à la recherche publique, afin d'accroître les financements des laboratoires, de recruter davantage et d'augmenter les salaires, d'améliorer la parité hommes-femmes, de mieux prendre en considération la place des citoyens dans les sciences et d'aborder la question de l'évaluation, qui pèse trop lourd sur de nombreux enseignants-chercheurs. Permettez-moi de souligner que l'intervention de notre présidente, Valérie Rabault, à l'occasion de notre motion de rejet, a été saluée par la communauté scientifique. Sans qu'aucune amélioration majeure ait été retenue, le 23 septembre, le projet de loi a été adopté à l'Assemblée nationale, avec toutefois quarante-huit voix seulement pour et vingt contre.

Si le Sénat a apporté certaines améliorations, comme l'engagement de servir six années après la titularisation d'une chaire junior ou le suivi des carrières des titulaires ou des contrats post-doctoraux, celles-ci ne suffisent pas selon nous à contrer la tentation de libéralisation de la recherche. Avec ce texte, nous nous inquiétons également d'un risque de précarisation des emplois. De plus, même réduit de moitié par le Sénat, nous regrettons le recours massif aux ordonnances, qui affaiblit le travail et le rôle du Parlement. C'est vrai sur ce texte comme sur d'autres relatifs à des sujets d'importance majeure – on pourrait citer la création d'une nouvelle exception aux droits des artistes visuels ou l'utilisation confinée des OGM, les organismes génétiquement modifiés.

Puis, le 9 novembre dernier, la commission mixte paritaire a envoyé un dernier mauvais message au milieu de la recherche, en reprenant deux amendements introduits en catimini par le Sénat et perçus comme des attaques incompréhensibles à l'indépendance des universitaires et à la liberté d'expression sur les campus. Le premier, qui a déjà été évoqué, crée un délit de trouble à la tranquillité et d'atteinte au bon ordre des établissements, pénalisant d'un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait de pénétrer ou de se maintenir dans un établissement d'enseignement supérieur sans y être habilité, peine portée à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque le délit est commis en réunion. Cette disposition est une atteinte, que nous ne pouvons accepter, au registre traditionnel de notre modèle démocratique en matière de vie universitaire. Quant au deuxième amendement, il vient fragiliser encore un peu plus le service public de la recherche, en donnant aux universités le pouvoir de recruter leurs enseignants sans l'aval de la CNU, privant cette dernière d'une partie de ses missions de qualification et compromettant l'évaluation académiques des candidats au profit d'une certaine idée de la place des pouvoirs locaux.

Comme l'a écrit Olivier Beaud, professeur de droit public à Paris II, un universitaire n'est pas un produit, il est bien plus que cela, il est le bien le plus précieux de l'université. Affaiblir le niveau de recrutement des universitaires, c'est abaisser le niveau des universités françaises, qui sont déjà suffisamment fragiles ; affaiblir la formation des étudiants, c'est affaiblir la nation toute entière. Refuser de voir cette réalité revient à faire preuve d'une absence de lucidité qui pourrait peser lourdement sur l'avenir de nos universités.

Enfin, au cours de cette CMP, les délais de la programmation budgétaire ont été corrigés, pour revenir à la durée initiale de dix ans proposée par le Gouvernement, alors que tout le milieu scientifique, les instances collectives et tous les groupes parlementaires d'opposition, de gauche jusqu'à droite, demandaient unanimement un raccourcissement de sa durée à sept ans, et que le Sénat l'avait voté. Ce refus de prendre en considération une proposition de nature à rassurer un tant soit peu la majorité de vos interlocuteurs suscite la déception, pour n'employer qu'un euphémisme.

À l'issue de cette CMP et au regard de toutes ces dispositions attentatoires aux libertés et aux principes qui fondent notre service public de la recherche, nous avons décidé, avec nos collègues sénateurs socialistes, qu'un recours au Conseil constitutionnel s'imposait.

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