Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du mercredi 18 novembre 2020 à 15h00
Adaptation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Les transpositions de directives et adaptations de règlements européens recourent en outre à de nombreuses ordonnances – plusieurs articles contiennent une demande d'habilitation. Cette place prépondérante laissée au pouvoir réglementaire ne plaide pas en faveur de la publicité des débats et de la démocratisation des enjeux liés à l'Union européenne.

Deux points de désaccord entre l'Assemblée et le Sénat subsistaient après l'échec de la CMP, l'article 23 sur le FEADER et l'article additionnel 4 bis sur les secteurs numériques. Pour ce qui est de l'article 23, qui habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnances afin d'attribuer la gestion des aides surfaciques à l'État et celle des aides non surfaciques aux régions, l'opposition du Sénat a été levée : les sénateurs ont proposé de prendre acte de la nouvelle rédaction de cet article, d'autant plus que les régions et les agriculteurs auraient reçu entre-temps des précisions à ce sujet.

Le principal point de blocage qui subsiste entre les deux assemblées est celui relatif à l'article 4 bis, issu d'une proposition de la sénatrice Sophie Primas sur le libre choix du consommateur dans le cyberespace et adopté à l'unanimité des groupes au Sénat. Même si la majorité La République en marche de l'Assemblée semble en accord sur le fond, elle considère que cet article 4 bis est un cavalier législatif, et doute de son caractère opportun du fait des négociations en cours sur le sujet au niveau de l'Union européenne. En effet, la Commission européenne a pris des engagements forts dans le domaine du Digital Services Act qui sera présenté en décembre prochain.

L'article 4 bis proposait à l'origine un nouvel encadrement des géants du numérique au moyen de trois grandes dispositions – la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations – afin d'appréhender les acquisitions dites prédatrices des géants du numérique. Un quatrième dispositif avait été ajouté afin de protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses, mais le rapporteur de l'Assemblée a refusé l'adoption de cette disposition au motif que le nouvel article risquerait alors de créer de l'insécurité juridique en raison de règles nouvelles dont on ne saura pas bien si elles s'appliqueront à l'échéance donnée. Même si rien n'interdit que la législation française vienne en anticipation du législateur européen, il n'est pas absurde d'attendre que la Commission européenne ait présenté sa proposition.

Enfin, je tiens à saluer les dispositions relatives aux directives sur les médias audiovisuels et sur le droit d'auteur, dont la transposition est urgente et réclamée par toute la profession. Nous avons déjà souligné les avancées permises par cette transposition, que nous avions soutenue en dépit de notre réticence à en passer par des ordonnances. Elle s'appuie sur deux axes, dont le premier est la responsabilité des plateformes, qui doivent et devront répondre des contenus qu'elles mettent en ligne, non seulement d'un point de vue éthique et sociétal, mais aussi parce que cette question détermine l'économie de toute une chaîne de création au sein de laquelle les artistes, auteurs et interprètes doivent pouvoir accéder à une juste rémunération, dans le maintien de leur droit à la liberté contractuelle, qui leur permet d'accepter ou de refuser des publications.

Le deuxième axe est celui de la responsabilisation de l'ensemble des acteurs de la filière, utilisateurs compris. En commission, tous les groupes se sont rejoints sur la nécessité de trouver un équilibre, mais nous avions également souligné le manque de moyens destinés à permettre à la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet – HADOPI – d'exercer avec plus d'efficacité sa mission de contrôle, voire de réfléchir à un dispositif plus efficace en particulier dans le domaine de la protection des mineurs, très exposés à des contenus violents, notamment en matière de pornographie, qui circulent de façon mondialisée sur les réseaux.

Le fait que les réglementations prennent en compte les différents types de services plutôt que les filières engendre des malentendus, ce que nous regrettons. À cela s'ajoute un manque de transparence du secteur audiovisuel, qui complique encore la tâche du législateur. Comment harmoniser des législations nationales sans compromis dans un secteur devenu paneuropéen, si l'on n'arrive pas à une définition plus fine des services à la demande ? Quelle logique à ce que la directive SMA soit disjointe de celles du paquet télécoms ? La question du pays d'origine ou du pays de destination a elle aussi été au coeur des discussions, et les modifications apportées devront permettre d'obtenir que les services de médias audiovisuels contribuent beaucoup plus largement à la production nationale.

On le comprend bien, entre un libéralisme, dont le Brexit a montré les dangers et les limites, et l'importance croissante des services provenant des pays extra-communautaires, la tâche du législateur reste complexe. Même si ce texte comporte des dispositions utiles, pour les raisons que j'ai évoquées, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra sur ce projet de loi.

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