Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du mercredi 18 novembre 2020 à 15h00
Adaptation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

Je me concentrerai sur les trois articles du projet de loi au sujet desquels la commission des affaires culturelles et de l'éducation a été saisie pour avis, commission à laquelle participe assidûment mon collègue Michel Larive dont je me fais aujourd'hui le porte-parole. Deux d'entre eux sont issus d'amendements du Gouvernement présentés en séance, au Sénat, le 8 juillet 2020. Ils visent à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer des directives européennes. Le contenu de ces articles recouvre en réalité une bonne partie des dispositions prévues dans le projet de loi audiovisuel, abandonné au printemps. Loin de faire consensus, ces dispositions ont été débattues et amendées par tous les groupes politiques. Des débats ont même eu lieu au sein de la majorité entre les rapporteurs et le Gouvernement. En légiférant par ordonnance dans un domaine aussi important, le Gouvernement prive une nouvelle fois le Parlement de ses droits et remet délibérément en cause le fonctionnement normal de notre démocratie.

Prenons, par exemple, l'article 24 bis visant à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour transposer la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : il correspond en tout point aux articles 16 et 17 du projet de loi audiovisuel. Il instaure le principe selon lequel les plateformes de partage de contenus deviennent responsables desdits contenus. Lors du débat sur le projet de loi audiovisuel, le groupe La France insoumise s'est fait le porte-parole de diverses associations, comme La quadrature du net, pour s'opposer aux conséquences de cette mesure : selon nous, elle revient à rendre obligatoires des outils de filtrage au téléchargement et au téléversement. Il en résulterait un système de surveillance généralisée des internautes ainsi que des suppressions abusives de contenus.

Lors de l'examen du projet de loi audiovisuel, nous avions débattu des amendements proposés par le groupe La France insoumise visant à instaurer l'interopérabilité. Cette dernière préserverait la liberté des utilisateurs, en leur offrant la possibilité de quitter une plateforme sans que les liens interpersonnels tissés avec les autres utilisateurs ne soient rompus. En d'autres termes, nous pourrions quitter Facebook pour une autre plateforme en conservant nos contacts. Pour le moment, ce n'est pas possible techniquement, ce qui octroie aux entreprises comme YouTube, Facebook ou Twitter un pouvoir disproportionné. Grâce à leur immense nombre d'utilisateurs et à l'absence d'interopérabilité, ces GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – nous ont rendus captifs et nous imposent une surveillance constante à des fins commerciales et publicitaires.

En résumé, si cette directive s'attache à défendre les droits des auteurs et condamne le piratage, elle ne s'attaque pas au monopole des plateformes ni à l'illégalité de leurs revenus, fondés sur une publicité qui ne reçoit pas le consentement des utilisateurs.

Un tel enjeu appelle un débat en profondeur de la part de la représentation nationale, empêché par la méthode des ordonnances. Michel Larive a souhaité déposer un amendement demandant un rapport d'information sur les modalités d'application d'une obligation d'interopérabilité pour les fournisseurs de services et de partage de contenus en ligne. Il a malheureusement été jugé irrecevable, ce qui a empêché, une nouvelle fois, toute discussion parlementaire.

Prenons un autre exemple, l'article 24 ter visant à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour transposer la directive sur les services de médias audiovisuels : là encore, le Parlement est privé de débat. Pourtant, le Gouvernement nous pousse à voter son amendement. Dans son exposé sommaire, il précise que les États membres doivent se conformer à la directive au plus tard le 19 septembre 2020, et qu'en cas de non-respect de cette échéance, la France pourrait faire l'objet d'un recours en manquement par la Commission européenne devant la Cour de justice de l'Union européenne. La menace de sanctions européennes ne justifie en rien les obstacles au débat parlementaire. Elle ne justifie pas davantage que les modalités imposées aux services de médias audiovisuels ou de vidéo à la demande, en matière de contribution au développement de la production d'oeuvres, soient décidées par décret.

Cette procédure nous empêche également de dénoncer l'amendement prévoyant que les dépenses réalisées en faveur des établissements d'enseignement supérieur de la création artistique, dans les domaines du cinéma et de la communication audiovisuelle, soient prises en compte dans le calcul des dépenses éligibles à la contribution au développement de la production. Ainsi, le Gouvernement peut répondre aux injonctions de Disney+ sans que les députés aient leur mot à dire ! Grâce à vous, Disney pourra former ses cadres à l'École de l'image des Gobelins, tout en s'émancipant de ses obligations de financement de la production indépendante ou en langue française !

Voter pour ces articles du projet de loi équivaudrait à accorder un vote de confiance au Gouvernement pour négocier avec les grandes plateformes sur des sujets aussi primordiaux que la liberté d'expression, la censure, la surveillance généralisée des internautes ou la reconnaissance faciale. L'arbitraire, les chèques en blanc et la négation du Parlement ne font pas partie de nos pratiques. Nous voterons donc contre ce texte.

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