Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du vendredi 20 novembre 2020 à 9h00
Sécurité globale — Article 21

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Cette discussion est intéressante, s'agissant d'un article qui peut apparaître technique mais qui soulève un certain nombre de questions et qui ouvre des perspectives. Je pense d'ailleurs que l'on peut être pour ou contre cet article pour des raisons diamétralement opposées, mais non pas contradictoires. On peut souhaiter apporter davantage de sécurité aux forces de l'ordre durant leur intervention en offrant plus de moyens à l'administration – j'y reviendrai – pour rétablir la vérité des faits, au-delà de quinze secondes qui, diffusées hors de leur contexte, peuvent apparaître désolantes ; mais l'on peut aussi vouloir, comme c'est bien normal et légitime en démocratie, que les citoyens aient la capacité de contrôler l'action des forces de l'ordre : sur ce point, je rejoins ce qu'on dit M. Lagarde et des orateurs à gauche de l'hémicycle.

De même que chacun a le droit de voir les images enregistrées par les caméras de vidéoprotection lorsqu'il a été filmé sur la voie publique, je confirme à M. Lagarde que l'on a déjà accès, aujourd'hui, aux images captées par les caméras piétons. Monsieur Mendes, vous aviez déposé des amendements qui, à ma connaissance, ont été déclarés irrecevables, mais je vous dis ici, ainsi qu'à M. Lagarde, que je suis tout à fait prêt, afin de confirmer ce que je viens de dire, à ce que l'on précise dans le texte que les citoyens ont tout à fait le droit de voir les images des caméras piétons et des caméras de vidéoprotection lorsqu'elles les concernent – c'est déjà le cas, d'ailleurs. J'entends les interrogations à ce sujet ; et si mes propos ne suffisent pas à y répondre, je suis prêt à clarifier davantage les choses en ce domaine.

De quoi s'agit-il ? En intervenant sur l'article, j'aurai ainsi répondu par anticipation aux amendements dont il fait l'objet.

Les caméras piétons sont actuellement autorisées pour les fonctionnaires de la police nationale, pour les gendarmes et pour les policiers municipaux. En pratique, pour faire fonctionner ces caméras, trois opérations sont nécessaires : premièrement, il faut entrer son numéro d'identifiant de policier ou de gendarme ; deuxièmement, il faut appuyer sur un bouton quand on veut filmer ; troisièmement, quand la caméra est rapportée au commissariat ou à la brigade, on télécharge la vidéo, laquelle n'est pas vue par les policiers ou les gendarmes mais peut être utilisée, notamment par l'autorité judiciaire, en cas de difficultés particulières, pour montrer si les faits relatés par les forces de l'ordre ou les personnes qui les accuseraient sont vrais ou pas. C'est l'état du droit.

Nous sommes confrontés à une triple difficulté, et cela a conduit le Président de la République à prendre position le 14 juillet dernier pour la généralisation de la caméra piétons, non pour chaque policier mais pour chaque brigade.

La première difficulté, c'est que ces caméras piétons ne sont pas très pratiques. Datant d'il y a trois ans, elles présentent plusieurs problèmes, notamment le fait que leur charge ne correspond pas aux horaires de patrouille et qu'elles se déchargent rapidement. En outre, il faut bien avouer qu'en pleine intervention – certains ici peuvent sans doute en parler mieux que moi puisque je n'ai qu'une vision livresque et qu'ils ont expérimenté la chose personnellement – , avoir la présence d'esprit d'introduire son numéro RIO – référentiel des identités et de l'organisation – et d'appuyer sur le bouton au moment où quelqu'un vous insulte, où vous êtes en train de secourir une personne ou vous trouvez dans une situation difficile, n'est pas forcément évident et intuitif. Les forces de l'ordre, par conséquent, soit n'utilisent pas la caméra soit entrent leur numéro RIO avant d'aller en intervention ; par conséquent la batterie se décharge d'autant plus vite que l'appareil reste allumé.

Le deuxième problème, c'est que les policiers et gendarmes ne peuvent jamais voir les images qu'ils ont filmées, et ce non pour les utiliser – ce n'est pas le sujet et la proposition de loi ne leur donne pas la possibilité de récupérer personnellement ces images et de les diffuser – , mais, ayant vu quelque chose de manière très furtive, pour mieux distinguer les faits et peut-être donner une alerte à leurs collègues – telle immatriculation de voiture, telle couleur de cheveux ou de pull d'une personne qui vient de commettre une agression – , mais aussi, et peut-être surtout, pour rédiger leur rapport une fois revenus au poste. De fait, notamment lorsque l'on intervient la nuit, l'appréciation des faits n'est pas forcément la même au vu des images.

Nous parlions tout à l'heure des classements par les parquets ou de décisions de justice qui peuvent nous apparaître minimales ; c'est souvent le fait de rapports de police qui ne sont pas argumentés, et il est légitime que les avocats défendent les personnes accusées et que les magistrats jugent en fonction des éléments à leur disposition. Il nous semblerait donc normal que le policier ou le gendarme puisse accéder aux images de l'intervention, non pour les utiliser, en physique, mais pour rédiger son rapport. Cela peut prévenir des erreurs car l'agent peut très bien avoir vu quelque chose que la vidéo permet de corriger en partie. Ces images restent évidemment à la disposition de la personne visée et de la justice.

Troisièmement, en réponse au groupe MoDem, il ne s'agit pas pour l'administration de diffuser des images à tout va, mais de répondre aux cas où il est important de montrer l'intégralité d'une scène. Je me rappelle cette polémique, à une époque où je n'étais pas encore ministre de l'intérieur : des forces de l'ordre étaient vilipendées, notamment sur les réseaux sociaux – nous aurons cette discussion à l'article 24 – , pour s'en être prises, prétendait-on, à une personne handicapée. Quelques heures plus tard, les images précédant celles déjà diffusées arrivaient et montraient que, en fait, ces policiers, dans un premier temps, aidaient cette personne. La polémique s'était alors arrêtée. Il paraît normal de ne pas juger l'ensemble d'un discours ni l'ensemble d'une intervention sur dix secondes, car il faut pouvoir contextualiser.

Cette proposition de loi vise donc plusieurs objectifs : donner aux policiers la possibilité de regarder les images d'une intervention, non pour les modifier mais afin de comprendre ce qui se dit et, le cas échéant, d'interpeller les personnes ; leur permettre, sous l'autorité de leur chef, à savoir un d'OPJ, de remplir leur rapport en s'appuyant sur la vidéo et pas seulement sur le ressenti de leur intervention ; enfin, permettre à l'administration d'utiliser les images de la scène complète, s'il y a lieu – donc pas de façon systématique – , dans un contexte polémique, étant entendu que l'autorité judiciaire, qui disposera elle aussi de l'intégralité de ces images, pourra les interpréter comme elle le souhaite dans le cadre d'une enquête.

D'autre part, madame Karamanli, nous changerons les caméras : un appel d'offres a déjà été lancé à cette fin, et des entreprises y répondent en ce moment même. Nous souhaitons accroître la capacité de charge, de façon que la caméra utilisée par la brigade ait une batterie dont l'autonomie corresponde au temps de patrouille. C'est d'autant plus important, madame la députée, qu'il ne faut pas non plus limiter l'individualisation de la caméra, afin que ces images puissent être identifiées par le policier ou le gendarme qui la porte au sein d'une brigade : c'est nécessaire au bon déroulement de l'enquête. Il est enfin prévu que nous puissions actionner des clauses particulières du contrat d'appel d'offres pour permettre aux entreprises de répondre aux finalités voulues par le législateur dans le présent article.

Je veux, c'est mon troisième point, souligner l'importance de ces caméras piétons pour une meilleure appréciation de la relation entre la population et la police. Cela m'agace beaucoup quand j'entends dire qu'il faut réconcilier la police et la population, car je pense que la police fait partie de la population ; ce sont les enfants, les frères, les parents de Français, et ils sont eux-mêmes, dans leur vie civile, fondus dans la population. Mais je comprends ce que l'on veut dire par là, et je crois, à cet égard, que les caméras piétons répondent aux deux buts que l'on peut se fixer : d'une part, protéger davantage les forces de l'ordre et mieux incriminer ceux qui les insultent ou les frappent – et il est normal qu'un magistrat puisse aggraver les sanctions contre quelqu'un qui commet ces actes envers une personne dépositaire de l'autorité publique ; et, d'autre part, rendre compte de l'intervention actionnée au nom de la contrainte légitime exercée par l'État et la documenter. Cela me semble tout à fait logique, pour faire écho à ce que disait le président Lagarde avec d'autres, que l'on améliore l'accès à ces images pour les citoyens.

Cet article 21 me semble donc très équilibré. Il tire parti de l'amélioration permise par les nouvelles technologies, et il ne vaut pas que pour les forces de l'ordre : il vaut aussi pour les citoyens.

Je terminerai en disant, sans aucun esprit polémique, …

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