Intervention de Thomas Mesnier

Séance en hémicycle du lundi 23 novembre 2020 à 16h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Mesnier, rapporteur général de la commission des affaires sociales :

Après une lecture dans chacune des deux assemblées, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui comprenait initialement cinquante-deux articles, compte encore 125 articles en discussion : quarante-deux articles ont été adoptés conformes par nos deux chambres, onze adoptés par l'Assemblée nationale ont été supprimés par le Sénat et soixante-sept ont été ajoutés par le Sénat.

Au-delà des chiffres, cette première lecture laisse apparaître trois catégories de dispositions.

Une première série comporte des dispositions, qu'elles aient été adoptées conformes ou non, sur lesquelles nos deux assemblées sont d'accord. Tel est le cas, pour la quatrième année consécutive, des articles dits « de chiffres », qui ont fait l'objet, je l'ai rappelé en commission, de révisions très significatives tant à l'Assemblée qu'au Sénat. Ces évolutions ont permis à la représentation nationale de disposer, à chaque étape de la discussion, de données aussi à jour que possible sur le budget de la sécurité sociale sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer. Si cet effort de transparence était indispensable pour que notre discussion soit sincère, il n'en mérite pas moins d'être salué.

De manière tout aussi significative, Assemblée nationale et Sénat se sont rejoints sur des dispositions dites « de lettres » – et non des moindres. Sans prétendre à l'exhaustivité, j'en citerai quelques-unes.

C'est le cas des dispositions figurant aux articles 6 bis et 6 ter, relatives respectivement au prolongement du régime social de l'activité partielle et aux mesures d'exonérations et d'aide au paiement des cotisations et contributions sociales, mesures visant à accompagner les entreprises et les travailleurs touchés par les nécessaires mesures restrictives imposées par la crise sanitaire. Il est heureux que les deux chambres aient été en accord sur ces mesures essentielles de réponse à la crise.

C'est également le cas de la gouvernance de la nouvelle branche autonomie de la sécurité sociale, qui figure à l'article 16 et dont la création a été décidée cet été à l'Assemblée nationale. Je ne peux que me réjouir que le Sénat en approuve aussi bien les principes que les premières modalités d'organisation.

La revalorisation des carrières des personnels hospitaliers, prévue à l'article 25, fait aussi partie des points d'entente, alors même que les moyens conférés à l'hôpital et la rémunération des soignants avaient été au coeur des débats entre nos deux assemblées l'an dernier. Cet accord témoigne, je le crois, du chemin que nous avons parcouru pour redonner du souffle et des perspectives à l'hôpital public.

Enfin, parmi les mesures consensuelles, je pense également à l'octroi d'une nouvelle enveloppe dédiée à la prise en charge des violences conjugales, prévue à l'article 28 bis ; au tiers payant intégral pour les frais relatifs aux IVG et aux soins du panier 100 % santé, prévu aux articles 33 bis et 33 quater ; à l'instauration d'un régime d'indemnités journalières pour les professions libérales, prévue à l'article 34 quater ; ou encore à l'allongement du congé de paternité, avec la prise obligatoire de sept jours, prévu à l'article 35.

Le Sénat a d'ailleurs non seulement amélioré ou confirmé des dispositions votées par l'Assemblée nationale, mais en a aussi ajouté d'autres, bienvenues, relatives à la lutte contre la fraude ou encore à l'autonomie avec, en particulier, la création d'une allocation de vie partagée, afin d'accélérer le développement de l'habitat inclusif pour les personnes handicapées.

Une deuxième série de dispositions, adoptées par le Sénat malgré l'avis défavorable de sa commission des affaires sociales et du Gouvernement, ne sont pas sans poser des problèmes importants, qui peuvent être techniques ou de principe. La plupart d'entre elles avaient d'ailleurs été rejetées pour ces raisons en première lecture – en commission ou en séance publique – à l'Assemblée. Je pense notamment à de nombreuses niches sociales, souvent dénuées de liens avec le contexte exceptionnel que nous connaissons, et dont l'efficacité pour les publics visés n'est pas démontrée. Sur ma proposition, et dans un souci de responsabilité, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a systématiquement proposé la suppression de ces dispositions.

Enfin, les deux chambres ont pris des positions diamétralement opposées s'agissant de la troisième et dernière série de dispositions.

C'est le cas de celles relatives à la dette hospitalière, ce qui témoigne d'une conception faussement rigoureuse des contours de la sécurité sociale de la part du Sénat, que nous ne partagions pas lors de l'examen de la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie, et que nous ne partageons toujours pas. Sans entrer dans les aspects techniques de ce désaccord, je me contenterai de dire que le goût pour les périmètres, aussi lourds de sens qu'ils puissent être sur les plans historique et philosophique entre l'État et la sécurité sociale, ne doit jamais troubler la cohérence d'ensemble des politiques menées, notamment en matière de santé.

En tant que rapporteur général de la commission des affaires sociales, je le dis avec d'autant plus de sérénité que 2020 marque le retour bienvenu des compensations strictes à la sécurité sociale, s'agissant, entre autres, des exonérations et aides au paiement prévues à l'article 65 de la LFR3 pour 2020 et à l'article 6 ter de ce PLFSS.

Un autre désaccord majeur porte sur l'introduction, par le Sénat, à l'article 47 quinquies, d'une disposition paramétrique relative des retraites. Sur la forme, celle-ci aurait pour conséquence de dénaturer le processus engagé par le Gouvernement et selon lequel le Conseil d'orientation des retraites a été chargé d'établir un diagnostic sur la base duquel les partenaires sociaux se prononceront. Tout en ouvrant une conférence de financement, le dispositif adopté par le Sénat pourrait aboutir à une réforme-couperet de grande ampleur en 2022. Sur le fond, celle-ci retiendrait des paramètres, s'agissant notamment de l'âge légal de départ à la retraite, qui n'ont aucune raison d'être privilégiés par rapport à d'autres – ce qui ne fait que renforcer la nécessité d'une concertation approfondie.

Notre majorité a démontré sa volonté de repenser en profondeur le système de retraite, mais une telle réforme ne peut faire l'économie ni de la concertation ni d'une prise en considération du contexte de crise, très particulier, dans lequel nous sommes encore plongés.

Enfin, de manière plus générale, les deux chambres ont eu des approches très différentes en ce qui concerne les prélèvements sociaux. Le Sénat a d'emblée alourdi la taxe sur les organismes complémentaires prévue pour 2021, alors même que nous ne disposons pas encore de certitudes sur des paramètres aussi fondamentaux que le rebond de la consommation de soins ou que l'impact de la portabilité des droits sur les comptes de ces mêmes organismes. Il a aussi bouleversé le réglage fin mais équilibré qui avait été trouvé s'agissant du dispositif TODE – travailleurs occasionnels - demandeurs d'emploi. Et il a ajouté de nouveaux dispositifs d'exonérations ciblées, voire très ciblées, dont la justification dans une période difficile pour les comptes publics ne me semble pas évidente.

La responsabilité commande de choisir les dispositifs les plus efficaces et les mieux adaptés à la crise que nous traversons et non de multiplier les effets d'annonce sans s'interroger sur le coût de telles démarches pour la sécurité sociale à moyen et long terme.

Concernant la maîtrise des dépenses de santé, le Sénat a, de la même manière, adopté des mesures étonnantes, compte tenu du contexte actuel et sans que ces mesures semblent procéder d'une vision globale de la maîtrise médicalisée du risque. Il a notamment ouvert, à l'article 30 bis, une brèche importante dans le parcours de soins coordonnés, alors que celui-ci est désormais très largement consensuel.

Lors de cette nouvelle lecture, il nous reviendra donc, sans surprise, de conforter les mesures très fortes ayant fait l'objet de convergences entre nos deux assemblées, lesquelles ont beaucoup travaillé en vue d'améliorer le texte du Gouvernement, mais aussi de revenir au sage équilibre trouvé par notre assemblée sur les autres points. Il nous faudra veiller en permanence à ce que ce texte continue d'être le reflet de ce que la sécurité sociale peut procurer en réponse à la crise. Il pourra s'agir de réponses de court terme ou de perspectives plus pérennes pour notre modèle, comme en matière de soutien à l'hôpital, de prise en charge renforcée et plus équitable du soutien à l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap, ou encore d'égalité femmes-hommes.

De ce point de vue, l'étape importante que constitue cette nouvelle lecture nous oblige. Une tentation, qui peut être forte – elle l'a parfois été au Sénat – , est celle de la surenchère sur un dispositif ou sur un autre. Personne ne mésestime les difficultés rencontrées par de nombreux Français et par de nombreux secteurs économiques dans cette période qui restera comme l'une des plus difficiles que nous ayons eu à connaître. La réponse est d'ailleurs à la hauteur de ces difficultés. Mais celle-ci ne sera compréhensible, acceptable, légitime et soutenable qu'à la condition d'être équilibrée et cohérente. À la crise conjoncturelle, il convient d'apporter des réponses fortes, mais temporaires. Aux difficultés, il nous faut apporter des réponses proportionnées. À des problèmes précis, nous devons apporter des réponses précises.

À multiplier les dispositifs d'exonérations décorrélés des conséquences de la crise sanitaire, nous renoncerions définitivement à l'esprit de responsabilité qui doit animer nos débats budgétaires. C'est pourquoi je me porterai personnellement garant des équilibres que nous avons trouvés en première lecture sur de nombreux articles. Il y va du sérieux de ce que nous proposons aux Français, de notre capacité collective à retrouver, à moyen terme, un chemin vers l'équilibre des finances sociales, et donc de la crédibilité de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.