Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 26 novembre 2020 à 9h00
Justice de proximité et réponse pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Notre justice est malade. Vous avez donc décidé de vous porter à son chevet et de proposer des mesures alternatives pour la rendre plus efficace. Malheureusement, ces mesures ne sont plus utilisées aujourd'hui pour leur éventuelle performance, mais bien parce qu'elles permettent de désengorger les juridictions. Elles ne sont plus qu'un substitut, une solution de repli et, pour tout dire, la marque d'une justice au rabais. Ces mesures de remplacement des poursuites sont d'ailleurs perçues comme autant d'absences de sanction par les délinquants chroniques, ceux-là mêmes qui, selon la proposition de loi, « empoisonnent la vie de nos concitoyens ». Or, vous le savez, l'absence ressentie comme telle de sanction encourage la récidive.

Le point commun de toutes ces procédures est que l'on n'y voit jamais intervenir un juge. Quant au délégué du procureur, il est souvent moins impressionnant qu'un juge en robe et en audience. Son intervention a, en outre, un effet pervers : à son contact, le prévenu, quand il est de bonne foi, ne comprend pas vraiment qu'il a commis une infraction pénale.

Le texte propose toujours plus de solutions alternatives aux poursuites. Le procureur pourra dorénavant choisir, sans contradicteur, dans quel cas il faut indemniser la victime – il va d'ailleurs lui-même fixer le montant de l'indemnisation – ou dans quel cas une interdiction de rencontrer une personne doit être prononcée – comme un juge d'instruction ou un juge des libertés et de la détention !

Cette volonté de prévoir des mesures alternatives aux poursuites pose un problème de taille : l'exclusion de la victime ! Cette dernière ne pourra pas, en effet, se constituer partie civile devant un représentant du procureur. Pour le faire, il lui faudra non seulement se procurer l'information que souvent elle n'a pas, mais également obtenir la décision et saisir une juridiction civile par la suite, à ses frais. En outre, quelle possibilité la victime aura-t-elle de se prévaloir de la décision prononcée, qui n'est pas un jugement, et de la faire exécuter si le prévenu ne s'exécute pas ? Rien n'est prévu pour cette éventualité. Or, vous le savez monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, une justice dont la victime est exclue n'est pas la justice.

Ce n'est pas tout. Vous souhaitez retirer au juge de l'application des peines la compétence de décider des modalités d'organisation du travail d'intérêt général et la transférer au directeur du SPIP. Ce transfert n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui de la compétence de réévaluation des pensions alimentaires du juge au directeur de la CAF – caisse d'allocations familiales – , largement contesté au regard de l'arbitraire qu'il risque d'introduire dans le processus décisionnel. La tentation est toujours la même : elle consiste à décharger le juge en confiant sa tâche à un poste administratif sur lequel le justiciable n'a aucune prise. Vous l'avez compris, je ne suis pas favorable à de tels transferts.

Pour lutter contre la petite délinquance, pourquoi ne pas créer, au contraire, un juge des petites infractions à l'image du juge du tribunal de police ? On pourrait inclure dans ses compétences les petits délits – vols, outrages, incivilités – et prévoir une procédure rapide, voire une comparution immédiate des petites infractions pour celles qui méritent une réponse pénale rapide. Dans ce type de procédure, la victime est informée de l'audience et il y a un débat sur la peine et la réparation. Tout cela nécessite bien sûr des moyens, insuffisants aujourd'hui malgré les efforts budgétaires récents. Voilà ce que devrait être une véritable justice de proximité !

La meilleure façon de lutter contre les incivilités et la délinquance dont les Français sont victimes quotidiennement est d'appliquer de véritables sanctions, et non pas des mesures alternatives, qui n'ont pas la crédibilité d'une répression pénale à la hauteur des défis que nous affrontons. Car il existe un continuum entre les incivilités, la délinquance dite quotidienne et la délinquance grave ou la criminalité : ceux qui commettent des délits graves et des crimes commettent aussi quantité d'incivilités et de petits délits. La criminologie a d'ailleurs reconnu de longue date qu'une grande partie des délits et des incivilités étaient le fait d'un petit nombre de délinquants très prolifiques : on estime que 5 % des délinquants seraient responsables de plus de la majorité des crimes et délits connus par la justice…

Afin de lutter contre la délinquance du quotidien, il est inutile d'ajouter des mesures alternatives aux poursuites déjà prévues par la loi. La seule manière d'agir est de condamner à des peines d'emprisonnement les délinquants chroniques laissés en liberté ou libérés trop rapidement – soit exactement l'inverse du chemin emprunté par la proposition de loi. Pour cela, j'en conviens, il faut des places de prisons. Emmanuel Macron en avait promis 15 000 : le compte n'y est pas !

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