Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 15h00
Protection du peuple arménien — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

… des armes illégales qui tuent lentement mais sûrement, alors que les Arméniens disposaient de si peu de moyens de défense et se trouvaient abandonnés par leurs alliés. Ce sont aussi des djihadistes accourus de Syrie pour prêter main-forte à l'armée du satrape d'Azerbaïdjan.

Depuis de nombreuses années, l'esprit munichois s'est emparé des chancelleries occidentales, plus occupées à quémander les largesses du despote Aliev qu'à exiger le respect du droit international. Monsieur Le Drian, qu'avez-vous fait pour éviter que des milliers de victimes ne soient assassinées ? Savez-vous que l'inaction est une action ? Vous et vos prédécesseurs disposiez de vingt années au sein du groupe de Minsk, aux côtés des États-Unis et de la Russie, pour tenter de trouver une solution pacifique à ce conflit vieux de plusieurs décennies. Étiez-vous trop occupé à négocier avec M. Erdogan le verrouillage des flux migratoires ?

Si les Arméniens ont payé au prix fort le principe de l'Europe forteresse, la France a aussi abandonné les sociétés civiles turques et azerbaïdjanaises qui se battent pour le droit et la paix, notamment les intellectuels auxquels la France aurait dû apporter son soutien. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que vous ne saviez pas. Ils sont nombreux à vous avoir alerté, dès le début de la reprise du conflit, pendant que vous preniez soin de souligner votre amitié avec l'Azerbaïdjan. Il faut dire que le marché français des armes, passé avec M. Aliev, est fructueux…

La vérité réside dans les mots de la lettre que vous a adressée le comédien d'origine arménienne Simon Abkarian. Il vous disait : « À Pachinian le démocrate vous avez préféré Aliev le dictateur, et au courage politique, le nettoyage ethnique. Je comprends, vous ne pouviez décemment compromettre vos engagements commerciaux. Mais en agissant de la sorte, c'est la jeune et fragile démocratie arménienne que vous faites échouer dans une région propice à la corruption et au totalitarisme. »

L'objectif général de cette résolution présentée par nos collègues du groupe Les Républicains est louable : il s'agit que la France prenne position pour une reconnaissance du Haut-Karabakh. Pour autant, mes chers collègues, je ne goûte guère l'esprit de ce texte évoquant un choc des civilisations là où, en réalité, l'expansion de régimes dictatoriaux a été rendue possible par le déshonneur de notre diplomatie. L'Azerbaïdjan, premier partenaire commercial de la France dans le Caucase, sait monnayer à prix d'or notre cécité, et son allié turc a trouvé dans notre gestion stupide des flux migratoires matière à nous forcer la main jusqu'à la fracture.

Je ne vois que trop bien le jeu hypocrite auquel se livrent ceux qui étaient au pouvoir hier, feignant l'étonnement alors qu'ils portent eux aussi une lourde responsabilité dans ce qu'il advient aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'un conflit de religion mais d'un nouvel impérialisme, que vous dénoncez ici et encouragez dans le cadre de l'OTAN. Si je ne souscris pas à l'argumentation que vous exposez à l'appui de cette résolution, je veux affirmer haut et fort notre solidarité la plus élémentaire, la plus humaine, la plus fraternelle avec le peuple arménien, qui a eu le courage il y a deux ans de renverser l'autocratie et de mener sa propre révolution de velours. Ce peuple est aujourd'hui meurtri, acculé et menacé dans sa chair, dans son intégrité démocratique et territoriale. Désormais, c'est à l'ONU de reprendre la situation en main pour éviter une nouvelle effusion de sang et pour empêcher que ne s'impose la loi du plus fort : qui peut croire, en effet, que la Turquie et l'Azerbaïdjan s'arrêteront là ?

En attendant, notre abandon pousse aujourd'hui les Arméniens dans les bras de la contre-révolution, il resserre sur eux l'emprise d'une Russie dont ils cherchaient à s'émanciper, il met à terre une amitié franco-arménienne entretenue depuis des siècles. Je veux qu'ils sachent que, dans leur quête de justice, ils auront toujours tout mon soutien, tout notre soutien.

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