Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du mardi 21 novembre 2017 à 15h00
Renforcement du dialogue social — Présentation

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, « Il y a l'avenir qui se fait et l'avenir qu'on fait. L'avenir réel se compose des deux. », écrivait le philosophe Alain.

« L'avenir qui se fait » : nous percevons d'ores et déjà l'ampleur de mutations profondes, qu'il s'agisse du défi écologique planétaire et de ses conséquences humaines, de l'accélération de l'internationalisation des échanges ou des révolutions technologiques, qui sont sans précédent en ampleur et en rapidité ; mais c'est aussi l'évolution profonde vers la société de la connaissance et de l'innovation, avec une aspiration à un accroissement des libertés individuelles.

« L'avenir qu'on fait » consiste à trouver tous les leviers possibles pour saisir les opportunités de « l'avenir qui se fait », afin que « l'avenir réel » corresponde à nos attentes. Cette affirmation sous-entend deux impératifs : le premier est de croire viscéralement en la capacité du « nous » – prononcés à l'Assemblée nationale, ces mots prennent un sens particulièrement fort – , c'est-à-dire croire en l'intelligence collective et en sa capacité à trouver des solutions adaptées ; d'autre part, cela suppose d'adopter une démarche proactive, pragmatique et de responsabilisation des acteurs face aux enjeux. Ces deux impératifs constituent les fondements tant de la méthode que des orientations des réformes annoncées par le Président de la République et conduites par le Gouvernement pour transformer profondément notre modèle social, afin que l'idéal républicain d'émancipation sur lequel il repose puisse être, face aux défis d'aujourd'hui et de demain, une réalité pour tous.

C'est le sens des ordonnances relatives au code du travail qui nous réunissent à nouveau aujourd'hui. C'est également le sens de l'investissement massif et sans précédent que nous allons faire dans les compétences à travers le Plan d'investissement compétences, doté de 15 milliards d'euros sur cinq ans. C'est le sens de la réforme de la formation professionnelle, de celle de l'apprentissage et de celle de l'assurance chômage, qui feront l'objet au printemps d'un projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, que j'aurai l'honneur de vous présenter. C'est, enfin, l'esprit de la réforme des retraites que mènera ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et, plus largement, de l'action du Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat et de la baisse du coût du travail.

C'est la synergie entre toutes ces transformations qui permettra de faire diminuer durablement le chômage et la précarité, tout en libérant l'énergie et la capacité d'initiative des entreprises comme des salariés. Créer les conditions de cette convergence de la performance économique et du progrès social, tel est le sens de notre action en tant que responsables politiques. Cette action repose sur une conviction profonde, confirmée par l'expérience : si le but d'une entreprise est d'avoir une croissance durable, il ne peut se réaliser qu'avec des salariés motivés et formés, et le chômage ne peut reculer durablement qu'avec des entreprises conquérantes et en bonne santé.

Autrement dit, la réussite pérenne de nos entreprises tient à la dynamique des marchés et à des éléments exogènes qui les sécurisent et leur donne confiance dans l'avenir, mais elle est aussi intrinsèquement liée à leur capacité à développer un dialogue social de qualité, dans lequel les salariés peuvent avoir leur mot à dire, peuvent pleinement s'exprimer, notamment à travers leurs représentants élus et les organisations syndicales.

Il y a un peu plus de trois mois, au terme de plus de 80 heures de discussion et à une très large majorité – 421 voix – , vous avez ici même, mesdames, messieurs les députés, habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires au renforcement de ce dialogue social, c'est-à-dire à prendre les mesures nécessaires pour créer les conditions d'un dialogue social structuré, lisible et plus décentralisé, offrant plus d'agilité et de sécurité tant aux employeurs qu'aux salariés et à leurs représentants. Ceux-ci seront, dans ce cadre équilibré, des acteurs responsabilisés, davantage formés et mieux armés pour envisager l'avenir avec confiance.

Ces ordonnances ont été publiées au Journal officiel le 23 septembre dernier. Elles sont, je l'ai dit, le fruit de la démocratie politique et, vous le savez, celui de la démocratie sociale : elles font suite à une concertation intense de plus de 300 heures avec les partenaires sociaux. Ces ordonnances permettent l'entrée en vigueur immédiate des dispositions ambitieuses qu'elles contiennent, mais elles amorcent aussi dès à présent le changement de mentalités qu'elles supposent et visent à encourager. En effet, conformément au débat de fond que nous avions eu, les ordonnances transforment, à travers le droit, l'esprit du code du travail.

Je tiens à le réaffirmer solennellement : la loi est et demeurera le cadre dans lequel la négociation de branche et d'entreprise se déploiera. Mais c'est désormais la négociation qui déterminera les règles de fonctionnement dans l'entreprise et dans la branche. Comme vous le savez, cette nouvelle articulation entre la loi, l'accord de branche et l'accord d'entreprise repose sur un système supplétif qui constitue un filet de sécurité pragmatique : faute d'accord d'entreprise, c'est l'accord de branche qui s'applique ; faute d'accord de branche, c'est la loi. Et, dans certains domaines, comme les salaires minima hiérarchiques, les grilles de classification, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou la prévoyance, cela ne peut être que l'accord de branche.

En outre, la branche professionnelle a un pouvoir de verrou en décidant qu'un accord d'entreprise devra respecter au minimum ses stipulations, dans quatre domaines.

Premier domaine : la gestion et la qualité de l'emploi. C'est une nouvelle compétence des branches. Celles-ci garantiront, par exemple, à tous les salariés handicapés de la branche, les mêmes droits et garanties, qui devront être supérieurs à ceux que prévoit la loi. Un rôle central est ici dévolu à la branche, car l'insuffisance actuelle de la négociation sur ce point explique en partie pourquoi les entreprises n'emploient que 3,3 % de salariés handicapés, alors que notre objectif est d'atteindre 6 %. Il est temps de convenir que nous sommes tous responsables de cette situation.

La branche pourra verrouiller trois autres domaines : la prévention en termes de risques professionnels – sujet majeur – , les primes pour travaux dangereux ou insalubres et la valorisation du parcours syndical. Ce dernier point, lui aussi nouveau, est essentiel, car ce sont les syndicats qui sont amenés en premier lieu à négocier les accords. Valoriser les engagements de ce type et les compétences nouvelles qu'ils permettent d'acquérir est capital, notamment pour attirer les jeunes générations vers les mandats syndicaux.

Ce pragmatisme, c'est aussi, comme nous nous y étions engagés, la nécessaire prise en compte de la spécificité des très petites, petites et moyennes entreprises, les TPE-PME, qui emploient – c'est un fait majeur – 55 % des 18 millions de salariés du secteur privé et recèlent la plus grande dynamique en termes d'emploi. Les TPE-PME sont la priorité des ordonnances, et c'est une première pour une réforme du code du travail.

En sillonnant la France depuis la publication des ordonnances – j'ai rencontré plus de 3 000 chefs d'entreprise, et mon équipe et moi-même, plus de 5 000 directeurs des ressources humaines – , j'ai déjà pu constater l'effet psychologique réel produit par les ordonnances sur les PME. De nombreux chefs d'entreprise témoignent de leur confiance nouvelle pour embaucher grâce aux ordonnances, dans un contexte où les carnets de commande se remplissent et où la croissance repart et s'annonce robuste.

Ainsi, les accords de branche devront prévoir systématiquement les dispositions spécifiques aux TPE-PME, qui n'ont pas forcément les mêmes besoins ou les mêmes contraintes, notamment en matière d'organisation du travail.

Notre souci de répondre à la réalité des TPE-PME se traduit aussi, dans les ordonnances, par des modalités visant à renforcer le dialogue social. La négociation sera simple et accessible dans les entreprises de moins de 50 salariés. La priorité reste donnée, bien sûr, au délégué syndical, mais s'il n'y en a pas – c'est le cas dans 96 % des PME – , il y aura la possibilité de négocier sur tous les sujets – rémunération, temps de travail, organisation du travail – , soit directement avec un élu du personnel, soit, dans les entreprises de moins de 20 salariés, directement avec les salariés s'ils n'ont pas d'élu du personnel.

Ainsi, le nouveau système de consultation des salariés dans ces petites entreprises permettra d'éviter une procédure lourde, tout en garantissant une autonomie de jugement et une liberté de parole aux salariés, puisqu'il faudra que les deux tiers d'entre eux soient d'accord et que leurs délibérations se tiennent hors de la présence du chef d'entreprise. Ce dialogue informel existe dans de nombreuses entreprises de manière extrêmement positive ; il sera désormais sécurisé là où il existait, et encouragé là où il n'était pas pratiqué.

Par ailleurs, le dialogue social sera également simplifié, renforcé et rendu plus opérationnel dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés par la fusion des trois instances d'information et de consultation en une seule, le comité social et économique, le CSE, au sein duquel pourront être discutés tous les sujets économiques et sociaux, ainsi que toutes les interactions entre ces sujets. Nous en avons débattu très longuement : le délégué du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT – sont regroupés en maintenant, bien sûr, la personnalité morale du CSE, sa capacité d'ester en justice, sa capacité de recourir à l'expertise, ainsi que l'ensemble des compétences de ces trois instances.

Je tiens à souligner que toutes les entreprises pourront, si elles le souhaitent, se doter d'une commission santé, sécurité et conditions de travail. Celle-ci sera obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans les secteurs sensibles – cela a été l'un des apports significatifs du Parlement dans le cadre du projet de loi d'habilitation.

Comme indiqué pendant nos débats précédents, une étape supérieure pourra être franchie, par accord majoritaire, avec la mise en place d'un conseil d'entreprise, qui intégrera non seulement les fonctions d'information et de consultation revenant au représentant du personnel, mais aussi la fonction de négociation exercée par l'intermédiaire des délégués syndicaux. Vous avez d'ailleurs conforté cette ambition en adoptant, en commission, un amendement qui élargit les compétences de négociation des conseils d'entreprise à l'ensemble du champ des accords d'entreprise. Il sera intéressant de suivre l'évolution de ces conseils d'entreprise, car ils contribueront à instaurer la vision d'un dialogue social exigeant et co-constructif, puisqu'il existera des possibilités de codécision, notamment en matière d'égalité entre les femmes et les hommes et de formation professionnelle, mais aussi sur tout autre sujet défini par accord majoritaire.

Par ailleurs, toujours dans cet esprit de co-construction, nous avons instauré un dispositif de cofinancement des expertises exceptionnelles. Tout en préservant la capacité du CSE à recourir à des expertises, celui-ci permet de responsabiliser les parties et d'être plus exigeant sur le coût des expertises.

Outre les instances, en donnant plus de grain à moudre aux parties, les ordonnances créent une véritable incitation à un dialogue social de qualité, car la qualité du dialogue conditionnera l'ampleur de l'agilité des entreprises et des branches, ce qui responsabilisera les partenaires sociaux.

Dans les entreprises, cette souplesse tient également à l'extension des champs de négociation ouverts. Mais cette capacité d'anticiper et de s'adapter rapidement aux évolutions du marché à la hausse ou à la baisse ne leur sera accessible que si elles arrivent à conclure des accords majoritaires, par exemple sur le temps de travail, la rémunération ou la mobilité. C'est donc une mesure très puissante et très incitative au dialogue social. C'est pourquoi, dans ce même esprit, nous avons décidé d'avancer d'un an et demi le calendrier de la généralisation des accords d'entreprise majoritaires : celle-ci interviendra le 1er mai 2018.

Cette souplesse est également conditionnée par la réussite de la négociation entre les partenaires sociaux dans les branches. Ainsi, pour le recours au CDD, celles-ci établiront les règles spécifiques concernant la durée, le nombre de renouvellements et le délai de carence. De même, l'accord de branche conditionnera l'accès aux contrats de chantier, ce qui donnera une sécurité juridique importante aux entreprises qui souhaitent embaucher en CDI de chantier au lieu de multiplier les CDD, ainsi qu'aux salariés.

Dans ces conditions de sécurisation, nous pouvons avoir confiance en la négociation de branche pour trouver des compromis gagnant-gagnant entre salariés et entreprises, comme c'est le cas dans le périmètre actuel, plus restreint. Cette agilité permise par le dialogue social s'inscrit aussi dans le cadre juridique équilibré introduit par les ordonnances pour sécuriser les entreprises et les salariés.

Vos diverses interventions dans cet hémicycle lors de la discussion du projet de loi d'habilitation ont parfaitement montré que l'insécurité juridique, liée à notre enchevêtrement de normes peu lisibles, doublé d'une jurisprudence parfois inconstante, pénalise les entreprises, surtout les plus petites, et leurs salariés, mais aussi les demandeurs d'emploi, car ces difficultés constituent un frein psychologique redoutable à l'embauche, et un repoussoir pour les investissements étrangers. Pire encore, des droits, pourtant inscrits dans le code du travail, n'étaient pas réellement accessibles. En raison de dispositifs d'application rigides et trop complexes, ils étaient réduits à n'avoir qu'une valeur incantatoire. La deuxième partie du compte pénibilité en était symptomatique.

C'est pourquoi, comme nous nous y étions engagés, les dispositions soumises à votre ratification s'emploient à lever ces barrières, par le biais de plusieurs mesures de simplification et de clarification permettant davantage de transparence et d'équité. Ainsi, concernant la pénibilité, il ne s'agit nullement de baisser la garde. Les dix critères sont maintenus, avec des mesures de prévention et de réparation adaptées à chacun. Mais nous avons trouvé une formule pratique et opérationnelle permettant l'exercice de ce droit dans toutes les entreprises, y compris les plus petites, qui n'étaient pas en mesure de répondre aux multiples obligations déclaratives initiales. Désormais, pour les trois critères ergonomiques, un examen médical permettra de mettre en évidence les conséquences de ces conditions de travail pénibles, et le salarié pourra partir deux ans plus tôt à la retraite à taux plein. C'est un droit qui s'applique dès maintenant. Les branches négocieront sur la prévention.

Concernant le risque chimique, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et moi-même avons confié au professeur Paul Frimat une mission pour tenir compte de l'effet différé des agents chimiques dangereux et de l'absolue priorité de la prévention.

Toujours dans une logique de sécurisation juridique, les ordonnances prévoient plusieurs dispositions sur le licenciement. Elles mettent un terme à la prévalence du vice de forme sur l'examen au fond par le juge, sujet majeur pour les petites et moyennes entreprises. Elles créent un formulaire-type rappelant les droits et devoirs de chaque partie pour éviter les erreurs de procédure lors d'un licenciement. Elles remettent au standard européen le périmètre d'appréciation du motif économique, car la règle précédente était pénalisante pour les investissements internationaux, sans garantir davantage de liberté au juge. Elles instaurent des procédures de reclassement plus transparentes et plus équitables, grâce à l'accès à l'ensemble des emplois disponibles dans l'entreprise, par affichage ou via l'intranet de l'entreprise. Elles harmonisent à un an les délais de recours en cas de contestation de la rupture du contrat de travail.

S'agissant des indemnités légales de licenciement, nous avons respecté l'engagement fort pris devant la représentation nationale à l'occasion de l'examen d'un amendement de la majorité. Nous les avons augmentées pour tous les salariés de 25 % au titre des dix premières années d'ancienneté. La mesure est déjà en application. Je rappelle qu'un salarié gagnant 2 000 euros percevait auparavant 4 000 euros d'indemnités après dix ans d'ancienneté ; il en percevra désormais 5 000.

S'agissant des indemnités prud'homales, les ordonnances instaurent, comme annoncé, un barème de dommages et intérêts reposant sur plancher et un plafond, qui sécurise les deux parties en donnant plus de visibilité sur les contentieux potentiels et incite à la conciliation. Je rappelle que le plafond ne s'appliquera pas en cas d'atteinte à des libertés fondamentales, de harcèlement ou de discrimination.

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