Intervention de Patrick Mignola

Séance en hémicycle du mardi 21 novembre 2017 à 15h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola :

Et cette confiance est le fruit de bons carnets de commandes, de bonnes entreprises – et dans l'entreprise, il y a à la fois les salariés et les employeurs, ce constat traduisant une vraie différence de vision entre nous, chers collègues qui siégez à la gauche de cet hémicycle – , et, oui, de règles nouvelles, claires et justes pour les acteurs économiques.

Certes, nous avons la chance de connaître un regain de confiance, dont nul ne peut prétendre qu'y sont totalement étrangers l'élection du nouveau Président de la République, la cohérence du Gouvernement et le cap fixé par notre majorité d'une combinaison nouvelle de l'efficacité économique et de la justice sociale. C'est un bien précieux. C'est à nous tous de l'étayer et de l'amplifier par des réformes concrètes. Cette loi de ratification porte réforme concrète. Mais nous devons surtout l'inscrire dans un projet social fort. Dire où on va pour avoir envie d'y aller tous. Ce projet, pour le Mouvement démocrate, s'appuie sur deux principes.

D'abord, la reconnaissance de chacun dans sa situation particulière et dans son chemin de vie, qui est une promesse de renouer avec la République des individus, ou plus sûrement des personnes, telle qu'elle s'était forgée contre l'Ancien Régime qui en faisait des sujets. Tous différents, tous importants, tous considérés. Et ensuite, la reconnaissance que ces personnes participent par leur singularité, par leur engagement et par leur travail, à un bien commun, à un projet collectif, qui rend la communauté nationale plus forte. La France n'est jamais mieux elle-même que quand elle entraîne chacun dans une destinée commune. Tous différents, tous reconnus, mais tous partie intégrante d'un destin partagé.

La pierre angulaire de ce projet social est l'éducation. Le Gouvernement a impulsé un changement de paradigme, avec exigence et ambition, pour donner aux plus jeunes les connaissances et l'esprit qui permettent les conquêtes. Vous avez engagé, madame la ministre, l'évolution de la formation et de l'apprentissage, avec la même méthode de concertation et de confiance en la représentation syndicale, pour permettre l'approfondissement des compétences, donner des chances de rebond et s'adapter aux mutations rapides d'une société économique où nous exercerons tous plusieurs métiers différents au cours de la vie.

Car quels que soient les bancs où nous siégeons dans cette assemblée, nous rencontrons tous les jours des chômeurs, qui ne sont pas tous des fainéants en vacances, mais au contraire des citoyens malheureux qui se sentent déclassés et sont souvent désespérés, et nous rencontrons aussi tous les jours des entrepreneurs ou des DRH qui cherchent des salariés mais ne les trouvent pas. Il est quand même temps de remettre le corps social à l'endroit et de cesser de prétendre qu'il ne faut toucher à rien quand ce corps gronde et se ronge depuis des décennies de postures et de blocages, qui ont conduit à un immobilisme dont les plus fragiles et les moins mobiles sont les victimes ! Pour cela, oui, il faut changer la donne de la transmission des savoirs et de l'apprentissage des métiers. Et oui, il faut faire de la reconnaissance du travail la priorité.

Car en plus de l'éducation et la formation professionnelle, notre projet social passe par l'amélioration du pouvoir d'achat, grâce à une meilleure rémunération du travail et des baisses d'impôt. C'est ce que nous avons fait tout à l'heure en votant le budget. Car un peu plus d'argent, cela reste important pour la dimension matérielle – arrêtons nos pudeurs mal placées : oui, un peu plus de salaire et un peu moins de taxe d'habitation peuvent participer au bonheur – , mais aussi pour la reconnaissance de l'effort, du mérite et de la qualité de chacun.

Et avec l'éducation, la formation tout au long de la vie et le pouvoir d'achat, les règles qui régissent le travail et le dialogue social sont le levain de l'ensemble de cette nouvelle donne sociale. C'est pour cela que nous avons commencé, dès cet été, par la transformation du code du travail. C'est pour cela qu'une majorité de la représentation nationale a habilité le Gouvernement à la faire vite, par ordonnances. Elle est la première traduction de ce projet social, qui vise une meilleure reconnaissance de chacun dans sa situation particulière et la contribution de tous à de nouveaux équilibres sociétaux. Elle donne la possibilité d'adapter, au coeur de chaque entreprise, des accords d'organisation, de conditions de travail et de rémunération.

Que l'on soit salarié sédentaire, employé en télétravail ou personnel en déplacement, que l'on soit entrepreneur, travailleur indépendant ou prestataire auprès d'employeurs multiples ou temporaires, le code du travail nous concerne. Que l'on exerce dans des métiers de toujours, ceux que nous allons aider à retrouver une attractivité, tels l'agriculture, la construction ou l'hôtellerie-restauration, ou que l'on exerce dans les métiers de demain, comme les systèmes d'information, le numérique, la robotique et l'intelligence artificielle, le code du travail nous concerne.

En libérant les accords d'entreprise, nous reconnaissons les travailleurs dans leur diversité, nous sortons de l'uniformité qui ignore la particularité d'un secteur économique ou la spécificité d'un territoire, nous rompons avec cette impression qu'ont souvent nos concitoyens que la loi n'est pas faite pour eux, ou même parfois qu'elle est faite contre eux, tant elle les entrave, en tout cas qu'elle est faite loin d'eux, et nous passons pour des Parisiens myopes ou des personnes enfermées dans nos tours d'ivoire – pardon pour les Parisiens myopes, il y en a sans doute dans l'hémicycle, mais c'est simplement une image !

Pour autant, nous n'organisons pas la jungle d'un libéralisme débridé. Et il ne suffit pas de répéter tous les jours que ces ordonnances inversent la hiérarchie des normes pour que cela devienne vrai. Car c'est faux ! La loi demeure pour garantir les droits fondamentaux et le cadre commun. Elle est là pour tenir la promesse républicaine autant que lutter contre toutes les évolutions moins-disantes et tous les dumpings sociaux. La branche demeure, car dans certains domaines ou certaines activités, c'est bien à l'échelon de la branche et non à celui de l'entreprise qu'efficacité économique et justice sociale peuvent le mieux se conjuguer.

Mais la liberté existe enfin, pour toutes les entreprises, de faire reconnaître des accords qui s'adaptent à leur taille, à leur capacité de représentation et à des modalités différentes de dialogue, et de lever des blocages en recourant au vote démocratique de tous les salariés.

L'entreprise est une force qui va. C'est le mouvement, une remise en question quotidienne et une évolution régulière et impérieuse de son modèle pour s'adapter aux attentes de ses clients. Elle est par essence une agilité, quand le code du travail était jusqu'alors une rigidité.

Nous inversons la hiérarchie du mouvement et des tailles : d'abord les petits, les différents, les créatifs, les nouvelles formes de travail. D'abord, ceux qui n'avaient pas accès au dialogue voulu par les pères fondateurs des lois sociales. Ces derniers voulaient bien sûr protéger les salariés dans un circuit économique qui ne se régule pas de lui-même et lutter contre les inégalités, mais ils pariaient tous aussi sur un idéal faisant du dialogue social la condition de la réussite économique.

Car tel est le deuxième pilier de ces ordonnances : nous voulons donner une nouvelle responsabilité aux acteurs sociaux. Nous croyons que la réussite économique et le progrès social peuvent aller de pair, mais seulement si le dialogue social ne se limite plus à un affrontement où chacun campe sur des postures, souvent éloignées du vécu concret des entreprises. Où le dialogue social conduit plutôt à un blocage, car chacun prête à l'autre de mauvaises intentions dont il ne pourrait se rapprocher. Ce jeu de rôles a parfois conduit à discréditer les partenaires sociaux – qui ne trouvent d'ailleurs guère d'adhésion pour les mandats de délégués, qu'ils soient patronaux ou syndicaux – et à décourager la participation aux élections professionnelles. Il est vrai que, pour un salarié, l'idée de s'engager pour être perçu comme un empêcheur n'est pas des plus attirantes. Et pour un chef d'entreprise, l'idée de militer pour ressembler à sa caricature donne l'impression d'une perte de temps.

Mais jusqu'alors, ce système conflictuel et aporétique n'était pas très grave. La loi décidait de tout, et les accords de branche ou d'entreprise décidaient du reste – de peu ou pas grand-chose. On pouvait en rester à un dialogue bloc contre bloc : quand il y a peu de « grain à moudre », pour reprendre la formule d'André Bergeron, les meuniers peuvent rester sur leurs désaccords. Désormais, les représentants des salariés et des employeurs vont voir leur rôle renforcé, et seront incités à travailler ensemble pour réussir ensemble. Nous croyons qu'ils saisiront cette responsabilité de ne pas laisser aux autres ou à la loi le soin de décider à leur place. Ils peuvent – ils doivent – passer d'une logique de conflit à une logique de négociation, parvenir à des accords où chacun fait un pas vers l'autre et inventer des conseils d'entreprise qui savent que seul on va plus vite, mais qu'ensemble on va plus loin. Il faudra discuter, expliquer et accompagner car ce mouvement sera long tant les mauvais plis sont pris. Il y aura des patrons qui n'y croiront pas, car dans leurs représentations mentales, il y a toujours un profiteur et un exploité, et il vaut mieux être le premier des deux. Ou des représentants de salariés qui seront déçus de ne plus pouvoir en découdre à chaque fois. Que les uns et les autres l'entendent : le code a changé ! Et nous attendons d'eux qu'ils cassent leurs murs de Berlin mentaux pour coopérer, non pas seulement à une sorte d'économie sociale de marché à l'allemande, mais à une nouvelle économie sociétale de marché à la française.

Notre projet considère chacun et postule chez tous la conscience de l'intérêt collectif. Pour le bien de l'entreprise et celui des salariés, pour enfin démontrer que l'un ne va pas sans l'autre et pour participer au grand redressement dont nous avons besoin, tous peuvent, ensemble, apporter leur pierre dans la lutte contre le pire scandale social que ma génération a connu, le chômage de masse. Les Français savent que devant cet enjeu national et devant notre responsabilité collective de ne pas laisser à nos enfants le même pays abîmé par le sous-emploi et de ne pas déjà condamner une partie d'entre eux à son cortège de malheur, le statu quo est impossible.

Cela vaut, les chômeurs valent, nos enfants, dont nous ne voulons pas faire de nouveaux chômeurs, valent que l'on change ! Que notre pays considère chacun et adapte la loi aux différences et aux évolutions ! Qu'un nouveau dialogue social bâtisse des prospérités nouvelles dans les entreprises et participe au nouveau projet social du pays.

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