Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 9h00
Justice pénale des mineurs — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je ne prétends pas les réconcilier, mais je sais votre capacité, mesdames et messieurs les députés, à défendre une réforme d'équilibre, dans le seul intérêt du mineur. Cette réforme est le fruit de plus de dix ans de consultations : quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités ont travaillé à cette clarification et codification de notre droit.

Le texte que je vous présente consacre donc tous les principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945 : la primauté de l'éducatif, l'atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs. Les réformes successives, empilées sans cohérence au gré des alternances politiques, avaient petit à petit transformé l'ordonnance de 1945 en un texte illisible : après de nombreux travaux, de la commission Varinard en 2008 au remarquable rapport de M. le rapporteur Jean Terlier et de Mme Cécile Untermaier publié en 2019, cette réforme est désormais arrivée à maturité.

Avant toute chose, j'entends être clair et précis sur la question des moyens : il va de soi que la réforme ne saurait être appliquée sans que davantage de moyens y soient consacrés. Dans nos juridictions, l'affectation de 72 magistrats au 1er septembre 2020 et le déploiement de 100 greffiers ont permis un renfort immédiat, en anticipant les sorties d'école et les mobilités. C'est le cas, par exemple, de l'affectation de 4 greffiers à Bobigny, répondant ainsi aux demandes exprimées par les chefs de juridiction. Au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, cette réforme a également été anticipée depuis 2018 : 252 nouveaux emplois seront ainsi créés d'ici 2022. En complément, grâce au budget alloué à la justice de proximité, 86 éducateurs ont été recrutés.

J'ai bien conscience que les moyens, ainsi renforcés, n'auraient pas l'efficacité escomptée sans une méthode permettant de s'approprier la réforme. C'est pourquoi je veux répondre ici à des inquiétudes légitimes, et rassurer : l'état des stocks – pardon pour ce vocable néo-capitalistique – d'affaires a été finement analysé par une mission dédiée de l'inspection générale de la justice. Dans ce cadre, seules une dizaine de juridictions ont été identifiées, qui bénéficient déjà d'un soutien particulier. Tous les services du ministère sont donc pleinement mobilisés pour fournir aux juridictions un appui inédit, qui sera poursuivi et intensifié.

Je l'affirme très clairement devant vous : l'application de la réforme conduit à réorienter des procédures, en tenant compte de l'ancienneté des faits, de la réinsertion du mineur et, bien entendu, de l'indemnisation de la victime. Et qu'on se le dise : ceux qui doivent être sanctionnés le seront.

Il est urgent de doter la justice des mineurs de notre pays d'outils procéduraux performants, garantissant un équilibre entre une réponse pénale prévisible et un travail éducatif continu. Des commentateurs pressés ont affirmé que la justice rapide remettait en cause la primauté de l'éducatif. Cet argument ne résiste pourtant pas à une lecture fidèle des nouvelles dispositions. Vous le savez, 45 % des affaires sont jugées après que le mineur a atteint ses 18 ans. C'est pourquoi nous avons choisi de supprimer la phase de mise en examen qui, je le rappelle, n'est aujourd'hui encadrée par aucun délai.

La nouvelle procédure dite de césure permet une intervention judiciaire plus proche du passage à l'acte, l'audience d'examen de la culpabilité ayant lieu dans un délai compris entre dix jours et trois mois après les faits. Cette première audience est cruciale, car elle permet de faire respecter le droit fondamental d'un mineur à voir statuer sur sa culpabilité dans un délai raisonnable, alors qu'il est aujourd'hui de dix-huit mois en moyenne. Dix-huit mois, mesdames et messieurs les députés ! La procédure de césure permet en outre d'apporter une réponse éducative plus efficace, axée sur la responsabilité du mineur, la place de la victime et la responsabilité des parents, et ce dans un temps proche des faits reprochés.

Je veux insister sur la place désormais reconnue aux victimes, qui sont convoquées dès la première audience de déclaration de culpabilité et n'ont donc plus à attendre l'issue d'une procédure officieuse inconnue. La seconde audience, consacrée au prononcé de la sanction – mesure éducative ou peine – intervient dans un délai de six à neuf mois après la déclaration de culpabilité. Là encore, la victime y a, bien sûr, toute sa place.

Entre ces deux audiences, la période de mise à l'épreuve éducative redonne du sens au travail des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Si le mineur est reconnu coupable de nouveaux faits, les affaires pourront être regroupées, plutôt que de constituer un empilement de dossiers disjoints. Le travail éducatif s'inscrira ainsi dans un continuum, qui pourra se poursuivre pendant cinq ans après la sanction, et jusqu'aux 21 ans du jeune.

Les jugements rapides en audience unique restent exceptionnels et soumis à l'appréciation aiguisée des procureurs spécialisés, qui doivent bien sûr concilier gravité des faits et personnalité du mineur. Les garde-fous sont nombreux ; le juge saisi conserve la possibilité de revenir au principe de la césure.

L'efficacité d'une réponse éducative se mesure également à sa souplesse. Durant le temps de mise à l'épreuve, avant l'audience de sanction, le juge garde toute latitude pour ajuster le contenu de la mesure ; le juge des enfants peut même la prolonger si cela lui paraît nécessaire. Les équilibres sont bien maintenus.

La mesure judiciaire éducative unique constitue une avancée majeure de cette réforme. Elle comprend quatre modules, pouvant se combiner : insertion, réparation, placement et bien sûr santé. Vous y retrouvez donc toutes les composantes de la mission assurée par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – , dont le cadre d'intervention est ainsi clarifié et rendu plus flexible. Les services de la PJJ sont mobilisés pour relever ces défis. Ils ont d'ailleurs démontré leur capacité d'adaptation en poursuivant leurs missions essentielles pendant la crise sanitaire, dans des conditions plus que particulières. Je veux ici rendre un hommage solennel à leur professionnalisme.

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