Intervention de Jean Terlier

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 9h00
Justice pénale des mineurs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre : une longue et ancienne réflexion a été conduite au sujet de la codification de l'ordonnance de 1945, qui a toujours fait figure de totem. Il aura fallu quinze ans, quatre garde des sceaux, plusieurs rapports parlementaires, concluant tous à la nécessité de codifier. C'est donc en toute humilité que Cécile Untermaier, que je tiens à remercier ici, et moi-même avons abordé ce sujet dans le cadre d'une mission d'information, nous conduisant à partager le constat d'une justice pénale des mineurs trop lente, devenue illisible pour les praticiens, qu'ils soient magistrats ou avocats, au détriment des mineurs en cause comme des victimes.

Mme Nicole Belloubet, que je souhaite également remercier, a fait preuve d'un courage indéniable en abordant ce sujet délicat dans le cadre de la loi de programmation pour la justice, avec une méthode et des engagements, notamment celui que tous les parlementaires, sénateurs et députés, puissent prendre part à la réflexion entamée au sujet de cette réforme : travaux conduits par la chancellerie avec la protection judiciaire de la jeunesse, groupe de contact composé d'un représentant de chaque groupe politique, promesse d'un véritable débat parlementaire précédant l'entrée en vigueur du texte, le 31 mars 2021. Ces engagements ont été tenus, comme l'a relevé la commission des lois au cours de plus de onze heures de débats d'une grande richesse.

Venons-en maintenant aux grands axes de la réforme dont nous nous apprêtons à discuter. Le premier consiste dans le rappel préliminaire des grands principes à valeur constitutionnelle de l'ordonnance de 1945 : primauté de l'éducation sur la répression, atténuation de la responsabilité pénale du mineur, qui ne doit pas être jugé comme un majeur, mais par une justice spécialisée dont le juge des enfants est le principal acteur.

Le deuxième est la fixation d'un âge de responsabilité pénale, ce qui va permettre à la France de respecter ses engagements internationaux, notamment la Convention internationale des droits de l'enfant, avec l'instauration d'une présomption de non-discernement pour les mineurs de moins de 13 ans et a contrario une présomption de discernement pour ceux de 13 ans et plus. Certes, il s'agit d'une présomption simple, dont nous aurons l'occasion de débattre. Car deux mineurs de 13 ans ne se ressemblent pas : il est nécessaire que le discernement du mineur fasse l'objet d'un débat contradictoire lors de l'audience de culpabilité. Nous touchons ici à l'essence même de cette justice pénale des mineurs, qui repose sur l'appréciation fine, au cas par cas, de la personnalité du mineur, de sa spécificité.

Le troisième axe de cette réforme vise à instaurer une procédure simple, plus rapide et plus lisible pour les mineurs. Les nombreuses modifications apportées à l'ordonnance de 1945 lui ont fait perdre sa cohérence. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les renvois au code pénal et au code de procédure pénale ont rendu la procédure applicable aux mineurs particulièrement longue et complexe, si bien que le délai moyen de jugement s'élève aujourd'hui à 17,8 mois. Le code de la justice pénale des mineurs propose une nouvelle procédure, dite « de césure », en trois étapes : audience de culpabilité entre dix jours et trois mois après la convocation du mineur ; mise à l'épreuve éducative judiciaire, d'une durée de deux à neuf mois ; seconde audience, fixant la sanction.

Cette nouvelle procédure, qui est le coeur de cette réforme, présente de nombreux avantages. Elle offre au juge la possibilité de se prononcer rapidement sur la culpabilité du mineur et donc de lui donner une réponse lisible. Elle permet de fonder sur ce jugement un travail éducatif avec le mineur : la déclaration de culpabilité donnera aux services de la PJJ une base pour permettre au mineur de prendre conscience de la loi pénale et de sa propre responsabilité. La victime voit également son statut reconnu rapidement : en se constituant partie civile, elle peut obtenir une décision d'indemnisation dès l'audience de culpabilité.

Enfin, le code de la justice pénale des mineurs clarifie la distinction entre mesures éducatives, mesures de sûreté et peines, chacune de ces catégories faisant l'objet d'un titre distinct. L'un de ses objectifs est de simplifier le régime des mesures éducatives. L'ensemble des mesures de suivi éducatif prévues par l'ordonnance de 1945, qu'elles précèdent ou suivent la sentence, disparaissent au profit de la seule mesure éducative judiciaire, qui peut être prononcée par le juge des enfants ou la juridiction soit avant la sanction, à titre provisoire, soit après. Réparti en quatre modules, insertion, placement, réparation, santé, son contenu varie en fonction des besoins identifiés et peut être modifié selon l'évolution du mineur.

Nos travaux en commission des lois ont également permis d'importantes avancées. Nous avons adopté un amendement rendant obligatoire la présence de l'avocat lors des auditions libres. À l'initiative de la présidente de la commission, nous avons augmenté la durée du couvre-feu auquel les mineurs peuvent être soumis dans le cadre d'une mesure éducative judiciaire. Nous avons simplifié les règles de cumul entre les mesures éducatives et les peines, ainsi qu'entre les différents modules, obligations et interdictions dont peut se composer une mesure éducative judiciaire. Nous avons permis au tribunal de police de disposer d'un plus large éventail de peines, les amendes n'étant pas toujours adaptées aux besoins du mineur, ni à son relèvement éducatif. Nous avons interdit le recours à la visioconférence pour statuer sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire d'un mineur. Nous avons permis au juge des enfants ou au président du tribunal pour enfants d'ordonner aux autres parties de se retirer, lors de l'audience de culpabilité, au moment de l'examen de la situation personnelle du mineur. Nous avons rendu obligatoire le prononcé d'une mesure éducative judiciaire provisoire dès le placement du mineur en détention provisoire. Enfin, nous avons ménagé la possibilité pour la juridiction de jugement de déroger, par une décision motivée, à l'inscription de plein droit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, pour des décisions concernant un crime de nature sexuelle.

Les débats que nous entamons aujourd'hui devraient permettre, je le souhaite, de nouvelles avancées. Je présenterai notamment, comme d'autres députés de nombreux groupes parlementaires, un amendement prévoyant que le placement en détention provisoire d'un mineur, dans le cadre de l'audience unique ou lorsqu'il n'a pas respecté les conditions du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence sous surveillance électronique, soit décidé par le juge des libertés et de la détention et non par le juge des enfants. Une telle mesure permettrait qu'un regard neuf et extérieur soit porté sur le placement en détention provisoire, qui représente une décision particulièrement lourde de conséquences pour le mineur. Elle permettrait également de satisfaire à l'exigence constitutionnelle d'impartialité en évitant au juge des enfants devant juger le mineur d'avoir à prendre une décision sur son placement en détention provisoire, ce qui le contraindrait à une analyse et à une appréciation du dossier en amont de l'audience.

En conclusion, je voudrais rappeler une phrase de l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 : « La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente. » Je crois que c'est avec la même préoccupation que le législateur de 2020 entend répondre au défi de l'enfance délinquante. Je suis intimement convaincu que le code de la justice pénale des mineurs, grâce notamment à la réforme de la procédure, contribuera à une justice pénale des mineurs plus rapide et plus lisible, qui continuera de privilégier l'éducatif sur le répressif dans l'intérêt du relèvement du mineur.

C'est toute l'ambition de la présente réforme. Sa mise en oeuvre sera réussie, soyons-en certains, notamment grâce aux moyens budgétaires considérables accordés à la justice, en particulier à la justice pénale des mineurs, durant le mandat actuel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.