Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 15h00
Justice pénale des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Dans un entretien, en 2015, Pierre Joxe avait très justement décrit la réalité de la justice des mineurs : « des magistrats souvent débordés, des éducateurs exténués, des délais trop longs entre l'interpellation, le jugement et son application, des moyens insuffisants et en constante diminution ». Nous partageons ce constat, qui, durant la même période, avait conduit Christiane Taubira, alors garde des sceaux, soutenue par la majorité de l'époque, à projeter de codifier l'ordonnance de 1945.

Je formulerai deux regrets, deux inquiétudes et quelques observations.

Premier regret : nous débattons de la ratification d'une ordonnance et non d'un projet de loi. En 2018, l'annonce soudaine en séance publique du recours à une ordonnance pour réformer la justice des mineurs a provoqué colère et déception. Si, depuis lors, le ministère de la justice a fait beaucoup d'efforts pour faire revivre le débat parlementaire, la décision initiale de l'exécutif continue de peser et laisse ancrée l'idée que, par ce recours à une ordonnance, il voulait garder la main pour codifier l'ordonnance de 1945 en allant le moins loin possible. Un groupe de travail a été mis en place au ministère, avec l'administration de la chancellerie, que je salue ; toutefois, pour y avoir participé, je peux dire que cela ne remplace pas la discussion avec un ministre, que l'on peut convaincre plus facilement que son administration – entre personnalités politiques, il semble que ce soit plus aisé. Méfions-nous des effets délétères des ordonnances : outre que le Parlement se trouve dessaisi, les textes ne sont pas pour autant adoptés plus rapidement. Dès lors, monsieur le garde des sceaux, il était particulièrement important que vous soyez présent durant l'examen du texte par la commission des lois.

Second regret : sans doute aurait-il fallu débattre d'un code de la justice civile et pénale des enfants et des adolescents. La question du traitement de l'enfance délinquante est apparue, dès le début du XXe siècle, comme indissociable de la protection de l'enfance en danger. L'ordonnance de 1945, qui s'attache spécifiquement au traitement de l'enfance délinquante, n'exclut d'ailleurs pas cette approche. Dans le cadre de la mission d'information déjà évoquée, nous avons constaté les liens entre traitement de l'enfance délinquante et protection de l'enfance en danger, le public concerné pouvant du reste aussi être le même. La protection judiciaire de la jeunesse est toujours compétente au civil, le décret de 1975 n'a pas été abrogé, mais aucun financement n'est affecté à l'ASE – l'aide sociale à l'enfance. Il nous semble indispensable de clarifier ce point et d'organiser de manière plus lisible la prise en charge au titre de l'ASE et au titre du pénal, surtout lorsque la responsabilité pénale aura été fixée à 13 ans.

J'en viens à mes deux inquiétudes.

C'est au début du siècle dernier qu'a été abandonnée l'idée selon laquelle l'enfant serait un adulte miniature, devant donc être soumis aux mêmes règles que l'adulte. Sous l'impulsion de législations étrangères, la France, dans l'ordonnance de 1945, a franchi le pas avec l'édiction des grands principes de la justice de l'enfance et de l'adolescence : primauté de l'éducatif, atténuation de la responsabilité pénale, juridiction spécialisée. Le préambule de cette ordonnance mériterait, je crois, de figurer en première page du nouveau code de la justice pénale des mineurs, de même que la Convention internationale des droits de l'enfant. Il est vrai que l'article préliminaire du code rappelle ces principes et qu'à mon avis, son texte tend à les mettre en oeuvre.

C'est sur la question des moyens que l'inquiétude est la plus vive chez tous les professionnels. Tout doit aller plus vite, et tous redoutent de n'avoir ni le temps ni les moyens de mettre en place une prise en charge éducative. Les moyens matériels seront-ils au rendez-vous ? Prenons l'exemple de la promesse de l'ouverture de vingt CEF – centres éducatifs fermés – , engagement de campagne fort du Président de la République. Ces opérations sont difficiles à mener à bien. Dans mon département, l'unique structure de ce type a été supprimée, à l'initiative d'un maire et pour de mauvaises raisons. Depuis, plus rien… Les magistrats me disent pourtant qu'il manque un CEF dans le département le plus peuplé de la région Bourgogne-Franche-Comté, riche de deux tribunaux judiciaires. Le travail du juge sera-t-il facilité par la mise en place d'un outil lui permettant de savoir, après l'audience de culpabilité, de quelles capacités matérielles et humaines il dispose pour prononcer les diverses mesures éducatives et identifier les différents lieux d'accueil dont il pourrait avoir besoin ?

Je formulerai maintenant plusieurs observations sur le fond à partir des travaux de la mission d'information.

D'abord, la justice des mineurs fonctionne bien, au vu du taux de récidive : 65 % des enfants passés devant le juge n'y reviennent jamais. Nous le devons à l'engagement exceptionnel des professionnels que sont les juges des enfants, les greffiers, les éducateurs et les avocats. Ces derniers ne comptent pas leur temps pour accompagner les enfants tout au long de la procédure, nonobstant la faible rémunération dégagée, il faut le dire. Cette synergie des efforts fait qu'une réponse pénale est apportée dans 95 % des cas, au prix d'un stress quotidien épuisant. Le délai dans lequel la réponse pénale est donnée n'est pas satisfaisant : 45 % des sanctions et peines seraient prononcées après l'âge des 18 ans, disiez-vous, monsieur le garde des sceaux. On ne peut pas ignorer cette situation, pas davantage que l'état d'abandon dans lequel sont laissés les tribunaux qui s'occupent des mineurs. À ce titre, le présent projet de loi n'est pas un texte de renoncement.

J'observe ensuite que la délinquance des mineurs n'a pas augmenté dans notre pays depuis dix ans, la mission d'information a confirmé cette stabilité. Il est par ailleurs constaté une montée en puissance de la violence et le fait que des mineurs de plus en plus jeunes sont souvent utilisés comme petites mains par la criminalité organisée.

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