Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du mercredi 16 décembre 2020 à 15h00
Stratégie vaccinale contre la covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Voilà bientôt un an que notre pays et le monde luttent contre un virus inconnu et dévastateur ; un an, vécu comme une éternité par les professionnels de santé mobilisés à l'extrême depuis la première heure, ces professionnels à qui je veux de nouveau exprimer notre gratitude et notre reconnaissance : si notre système de santé a tenu, c'est grâce aux soignants qui, en faisant leur devoir, font plus que leur travail. Une éternité pour nous aussi, dont les vies ont été bouleversées, affectées par une grave crise économique et d'importantes restrictions de libertés. Je dois vous dire que ces dernières semaines ont été particulièrement longues pour moi, qui, comme tant d'autres, ai eu à lutter contre cette maladie – une de ses formes longues, encore trop méconnues et sous-estimées – , qui vous laisse dans un état de grand épuisement et dont j'avoue n'être pas encore totalement remise.

Un an, disais-je, c'est une éternité. C'est pourtant court à l'échelle de la recherche scientifique. Un an après avoir découvert ce virus, après avoir séquencé son génome, après les trois phases d'essais cliniques, voilà que nous débattons d'une stratégie vaccinale et ce, à moins d'un mois du début d'une campagne de vaccination. Le calendrier s'est accéléré à une vitesse déconcertante et, avouons-le, nul n'aurait pu imaginer que les recherches et les essais cliniques aboutiraient si vite à un résultat, même partiel.

C'est peut-être ce qui explique cette contradiction, propre à la France : nous qui nourrissions de grands espoirs dans la découverte d'un vaccin, nous devenons très méfiants et très hésitants quand celle-ci survient.

Monsieur le Premier ministre, je connais les difficultés de l'action publique, plus encore en cette période de grandes incertitudes, qui nous appellent, nous, responsables politiques, à la modestie et à la raison. La méfiance et les doutes qui montent dans le pays ne doivent pas être pris à la légère, au risque de causer l'échec de la politique vaccinale. Nous devons trouver un équilibre pour que notre stratégie ne soit ni précipitée ni trop lente. La sécurité de tous ne doit pas être sacrifiée sur l'autel d'une quelconque pression, fût-elle populaire ou économique.

Avec le vaccin, l'occasion nous est donnée de ne pas reproduire les erreurs commises depuis le début de la crise. Ainsi, le groupe Libertés et territoires estime que trois impératifs doivent être réunis pour mener à bien la stratégie vaccinale.

Le premier consiste à délivrer une information claire et transparente pour obtenir la confiance des citoyens : l'adhésion au projet vaccinal ne se fera pas sans transparence, ce qui implique de dire ce que nous savons, mais aussi ce que nous ne savons pas.

En l'occurrence, nous regrettons que les résultats des essais cliniques aient été repris dans des communiqués de presse avant de faire l'objet d'articles scientifiques. Les laboratoires doivent publier leurs résultats, comme certains commencent à le faire depuis peu. En effet, le manque de transparence traduit la compétition économique à laquelle se livrent les industriels, ce qui n'est pas de nature à rassurer. Compte tenu des investissements publics importants dans ce domaine, nous sommes en droit d'exiger des garanties solides.

Au-delà des résultats scientifiques, la transparence doit aussi se faire sur les contrats de précommande passés par la Commission européenne. Si nous connaissons les industriels concernés et les sommes engagées, nous ne savons rien des conditions d'achat, qui ne sont pourtant pas anodines pour les usagers. Quelle sera par exemple la politique d'indemnisation en cas d'effets indésirables ? Il serait judicieux d'éclaircir ces aspects car l'opacité autour des contrats ne peut que nourrir la défiance.

J'en viens précisément aux patients, aux citoyens. Nous devons les impliquer le plus possible, car la démocratie sanitaire a été largement mise de côté depuis le début de la crise. Sachant que la moitié de la population française n'envisage pas de se faire vacciner, la communication revêt une importance cruciale et doit être la plus claire et la plus pédagogique possible, sans pour autant infantiliser les Français. Je rejoins le professeur Alain Fischer lorsqu'il dit que nous avons besoin de messages ciblés et répétés, et qu'il faut prohiber tout argument d'autorité ou toute injonction de la part des responsables sanitaires. Cessons également la communication guerrière qui a prévalu jusqu'ici pour mieux valoriser l'esprit de responsabilité et la cohésion sociale. Luttons avec plus de force contre les fausses informations, en particulier celles relayées sur internet et les réseaux sociaux.

Pour ce faire, nous devons nous appuyer sur le réseau des professionnels de santé de proximité, notamment les médecins traitants. Ces derniers auront un rôle capital pour rétablir la confiance et obtenir le consentement éclairé des patients, et ils doivent donc être eux-mêmes bien informés, ce qui n'est pas le cas pour l'instant. Cette information est d'autant plus nécessaire que nous avons encore beaucoup à apprendre de ce virus, et que les premiers vaccins sont issus d'une technologie nouvelle, dite de l'ARN messager.

Aujourd'hui, il est évident que nous manquons de recul sur un grand nombre d'aspects liés au virus et au vaccin, raison pour laquelle nous devons faire preuve de précaution, mais la précaution n'empêche pas de faire preuve de responsabilité et de pragmatisme, et donc de nous organiser dès maintenant, pour être prêts.

Voilà qui m'amène au deuxième impératif, à savoir la nécessité de prévoir une logistique efficace aussi bien dans l'urgence que dans la durée. Sur ce plan aussi, il faudra tirer les enseignements des insuffisances passées, qui ont marqué la gestion des masques et des tests.

Les questions sont nombreuses. Quelles garanties avons-nous concernant les commandes ? La France a commandé 200 millions de doses au total, mais selon quel calendrier exact ? Que sait-on des processus de fabrication et de production ? Rappelons-nous la grande dépendance sanitaire dans laquelle nous nous sommes trouvés il y a quelques mois.

Où en sommes-nous des décisions en matière d'acheminement et de distribution, sachant que la difficulté est renforcée par les conditions de conservation et de transport propres aux vaccins les plus prometteurs, ceux de Pfizer et BioNTech et de Moderna ? Les conserver à une température de -70 °C, les acheminer dans des délais très courts n'est pas impossible, mais c'est un défi logistique qui requiert anticipation et méthode. Aussi attendons-nous du Gouvernement qu'il délivre des consignes claires et fasse preuve d'écoute. Certains hôpitaux ne comprennent pas pourquoi ils devraient faire office de plateformes de stockage départementales : que leur répondez-vous ? Encore une fois, tous ont en mémoire la gestion des masques – les conclusions des rapports des commissions d'enquête de notre assemblée et du Sénat sont d'ailleurs édifiantes.

Monsieur le Premier ministre, la campagne de vaccination risque d'être longue.

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