Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 27 janvier 2021 à 15h00
Suivi des projets franco-allemands mis en place par le traité d'aix-la-chapelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Surnommé par certains le « traité de la petite Europe dans l'Europe », ce traité bilatéral de coopération et d'intégration d'Aix-la-Chapelle a fait couler beaucoup d'encre. Si l'on peut, bien entendu, se réjouir de voir que la France et l'Allemagne ont définitivement tourné la page des guerres fratricides qui les ont opposées en 1870, en 14-18 et en 39-45, on peut néanmoins s'interroger sur la portée réelle de la résolution que vous nous demandez là de voter.

Pour couper court à tout mauvais procès, je préfère le dire très clairement et tout de suite, je suis européenne, une Européenne convaincue mais une Européenne d'une Europe des pays souverains, capable de peser sur les destinées du monde et, bien sûr, absolument bienveillante envers l'amitié franco-allemande, mais qui ne le serait pas dans cet hémicycle ?

Cette précision étant formulée, il n'a échappé à personne que l'Europe encouragée par Emmanuel Macron n'est pas vraiment du même genre. Il n'y a qu'à lire le préambule du traité pour s'en rendre compte, puisqu'il nous parle d'une véritable convergence « en faveur d'un marché mondial ouvert » et d'États qui « renforcent et approfondissent l'union économique et monétaire ».

Le sujet de crispation le plus évident est finalement le renoncement volontaire à certains pans de notre souveraineté. Je pense en particulier à la coopération accrue au Conseil de sécurité des Nations unies à l'occasion du mandat de deux ans de l'Allemagne, notamment par le jumelage des deux présidences successives exercées par nos deux pays. Au-delà de la fiction d'une France et d'une Allemagne qui ne feraient qu'une et parleraient d'une seule voix, c'est aussi mettre nos deux pays sur un pied d'égalité. Or, faut-il le rappeler ? la France est membre permanent du Conseil de sécurité, contrairement à notre voisin d'outre-Rhin ; cela s'appelle tout simplement l'histoire. Pour dire les choses encore plus clairement, il s'agit là ni plus ni moins que d'une perte certaine d'influence de la France en matière de politique étrangère.

Je ne peux m'empêcher de vous rappeler qu'alors que le traité d'Aix-la-Chapelle a été signé en janvier 2019, quelques mois plus tard, le projet européen porté avec enthousiasme par le Président de la République recueillait lors des élections européennes moins de 23 % des voix ; c'est dire si le peuple français est loin de partager cette vision de l'Europe… Ce vote signifiait clairement : un peu moins d'Europe technocrate et un peu plus de souveraineté nationale. Mais non, rien à faire : deux ans après la signature du traité et cinq jours après la dernière réunion de l'assemblée parlementaire franco-allemande, vous continuez votre marche forcée en nous proposant d'adopter une résolution pour conforter le rapprochement Macron-Merkel, alors que l'Europe suscite scepticisme et défiance.

La crise sanitaire que nous traversons, tous pays européens confondus, ne risque pas d'apaiser les citoyens français. Que dire en effet lorsque l'on apprend que les deux ministres de l'intérieur de l'époque, Christophe Castaner et Horst Seehofer, se sont engagés à ne plus jamais fermer les frontières entre la France et l'Allemagne ? On pourrait sourire, ce serait charitable…

On a la fâcheuse impression que cette assemblée mixte et les décisions qui pourraient y être prises ont les faveurs du Président de la République, mais au détriment de qui ? Des institutions françaises, bien sûr ! Un seul exemple en dit long : pour les projets dits prioritaires, le Parlement français pourrait se voir informer de leurs avancées par des rapports annuels. Quel mépris !

Vous l'avez compris, je crois fermement en l'Europe, mais certainement pas celle qui se construit au détriment de la France. La création du parlement franco-allemand me paraît en soi problématique car elle permet aux parlementaires des deux pays de demander des comptes aux gouvernements français et allemand. Je ne vous cache pas mon malaise, pour ne pas dire plus, à l'idée que des parlementaires allemands puissent disposer d'une telle prérogative, alors même que le Parlement français a tant de mal à exercer ces mêmes compétences à l'égard de son propre gouvernement, nous le vivons ici jour après jour. C'est pourquoi je m'abstiendrai sur le vote de cette résolution.

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