Intervention de Delphine Bagarry

Séance en hémicycle du lundi 1er février 2021 à 21h00
Respect des principes de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Bagarry :

Comment croire qu'avec un temps législatif programmé, qui empêche les voix dissidentes de s'exprimer, l'ensemble des objections pourront être discutées ?

Le 9 décembre 1905 est promulguée une loi « libérale, juste et sage », pour reprendre les mots de Jean Jaurès. Elle donne tort à Max Weber, persuadé que la religion catholique, religion de communauté, était incompatible avec les préceptes individualistes de la civilisation libérale. Après seulement un mois et demi de travail, le législateur s'apprête donc à réécrire une loi au titre de laquelle l'État est le garant de la liberté de culte pour en faire une loi de contrôle soumettant les associations cultuelles, culturelles et sportives à des examens réguliers et disproportionnés.

Le texte soumis par le Gouvernement propose pourtant des évolutions nécessaires. L'autonomie financière des cultes doit, bien entendu, être encouragée. La transparence et le contrôle des fonds étrangers sont évidemment des exigences rendues indispensables.

Ce texte a aussi pour objectif de retrouver par la loi les conditions de notre rassemblement. Mais le projet du Gouvernement est-il de nature à nous rassembler ? Un but ne se réalise pas simplement parce qu'il est conçu et désiré : son atteinte exige un effort, une exécution et une série d'intermédiaires. Il est des conséquences que l'on n'a pas prévues par négligence, par précipitation ou par imprudence. À titre d'exemple, au chapitre III, relatif à la dignité de la personne humaine, le législateur risque, en modifiant à la marge un arsenal législatif déjà bien fourni, de précariser et de fragiliser encore les femmes. Il se complaît à un exercice de stigmatisation, là où un renforcement des moyens financiers et humains est pourtant nécessaire pour faire appliquer la loi.

L'adhésion des associations cultuelles aux lois de la République a été une grande victoire de la loi du 9 décembre 1905. À l'inverse, comment ne pas craindre que la rédaction de certains articles du présent projet de loi ne suscite l'hostilité, notamment d'associations cultuelles qui n'ont rien à se reprocher ? Porter atteinte à la loi de 1905 relèverait d'un rapport blessé, de notre part, aux religions. L'hostilité pourrait aussi venir d'associations socioculturelles ou sportives investies partout, même sur les terrains les plus difficiles. Souvent seules dans certains quartiers, elles sont des acteurs essentiels de l'éducation à la citoyenneté : s'y expriment les principes d'égalité, de fraternité, de vivre ensemble et de faire ensemble. Elles feront désormais l'objet d'une suspicion permanente.

Ce texte mal travaillé risque d'accentuer les divisions alors que le Parlement ne devait travailler que dans un seul objectif : rassembler. Agir et légiférer pour lutter contre les séparatismes, l'islamisme radical et les atteintes à la citoyenneté est nécessaire. Toutefois, pour y parvenir, il faudrait dans le même mouvement agir et légiférer pour l'émancipation individuelle et la mixité sociale, meilleurs outils contre le repli identitaire. Où se situe l'émancipation dans ce projet de loi ?

La laïcité, tout comme la démocratie et la citoyenneté, n'est pas un dogme qui se décrète et s'impose. Comme l'éducation, elle est un outil d'émancipation qui permet la vie en commun. La laïcité est un principe fondamental de notre pacte social. Parce que l'on ne le modifie pas sans conséquences, notre responsabilité serait de rejeter ce texte et de le retravailler en commission, afin d'être à la hauteur des objectifs qu'il énonce et de l'héritage législatif que nous avons tous reçu.

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