Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du lundi 8 février 2021 à 16h00
Respect des principes de la république — Après l'article 12

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Monsieur Ravier, je partage tout à fait votre conception des choses. Permettez-moi quelques points d'explication du texte. Aujourd'hui, la République ne connaît pas les financements étrangers perçus sur son sol par les associations liées aux différents cultes, quel que soit le mode de gestion de celles-ci, loi de 1901 ou loi de 1905. Elle ne peut donc pas s'y opposer. Par ailleurs, elle ne connaît pas le financement du monde associatif, quelle que soit sa structure, et ne peut donc pas faire valoir non plus la moindre opposition.

S'agissant des cultes, nous avons inscrit dans le texte dès avant sa présentation au Conseil d'État une disposition essentielle : à partir de 10 000 euros, nous souhaitons connaître tous les financements reçus non seulement des États, mais aussi des ONG, des fondations, des entreprises, des particuliers même, étrangers au sol national, et qui financent un lieu de culte, et cela pour les associations relevant de la loi de 1905 comme de la loi de 1901. Nous avons bien conscience qu'une partie des lieux de culte sont gérés sous le régime de la loi de 1901, même si nous pouvons le déplorer : l'un des objets de ce texte est de forcer ces associations à aller vers le régime de la loi de 1905. Quoi qu'il en soit, les associations lois 1901 qui gèrent des lieux de culte seront soumises sans aucun doute à cette disposition de déclaration, et l'État pourra s'opposer à ces financements.

Mais la lutte contre le séparatisme, ce n'est pas seulement la lutte contre l'islamisme : nous voulons aussi lutter contre les ingérences étrangères, dont certaines relèvent non pas de l'islamisme, mais d'un contrôle de la diaspora. Il faut combattre les deux, de façon un peu différente sans doute.

Connaître les financements étrangers touchés par les associations dont nous avons dit qu'elles sont parfois aussi des officines de lutte contre la République est donc indispensable. C'est l'apport de ces amendements à ce texte, qui ne prévoyait pas initialement ces dispositions : il ne nous avait pas semblé que la mesure de généralisation des déclarations des revenus venant de l'étranger et de l'opposition par l'État était possible sans risquer la censure du Conseil constitutionnel. Restreinte à la gestion des lieux de culte, elle nous apparaissait proportionnée et donc pouvoir éviter la censure.

En commission spéciale, M. Houlié a proposé d'élargir cette déclaration et cette faculté d'opposition de l'État à toutes les associations, quelles qu'elles soient, dans la limite bien sûr du droit européen – ce qui pose d'autres problèmes, puisque l'on pourrait passer par un pays tiers membre de l'Union européenne pour financer des associations en France, et je soumets cette première possibilité d'entorse à votre sagacité : un tel mécanisme serait difficile à combattre..

J'ai dit en commission spéciale trouver cette proposition intéressante, mais disproportionnée. Le compromis proposé par l'amendement de M. Houlié, sous-amendé par M. Poulliat, est, je crois, le maximum de ce que nous pouvons faire : il permet à l'État de connaître un certain nombre de financements étrangers, et de s'y opposer lorsqu'il y a une atteinte grave aux valeurs de la République et à l'ordre public. Avec cette disposition, nous aurions pu connaître les financements reçus par le CCIF et par BarakaCity, et nous y opposer. C'est bien notre souhait.

Cette disposition n'est pas aussi large que celles que vous proposiez, monsieur Ravier, mais celles-ci seraient à coup sûr censurées par le Conseil constitutionnel, comme contraires à la liberté d'association. Le Conseil d'État nous a autorisés à prendre des mesures fortes, obligation de déclaration et faculté pour l'État de s'opposer, concernant le financement d'associations qui gèrent des cultes, qu'elles relèvent de la loi de 1901 ou de celle de 1905. C'est bien parce que cette mesure concerne exclusivement la gestion des cultes que nous pouvons la prendre. Ce que demandent ici plusieurs amendements, c'est un élargissement à toute la vie associative, indépendamment de la gestion du culte. Le Conseil d'État juge une telle mesure disproportionnée ; nous pensons qu'il n'a pas tort, même si l'on peut comprendre les arguments sur lesquels se fondent ces demandes – je ne sous-estime en rien l'entrisme islamiste dans certaines associations, ou plus généralement les tentations séparatistes.

Il nous semble donc que, pour que les dispositions juridiques votées fonctionnent, sans toucher à la liberté d'association telle qu'elle est reconnue par le Conseil constitutionnel, il serait préférable d'adopter l'amendement no 2170 sous-amendé. Je suggère donc le retrait des autres amendements. Nous aurions ainsi atteint notre objectif, et le texte du Gouvernement s'en trouverait enrichi, sans encourir la censure du Conseil constitutionnel.

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