Intervention de Julien Aubert

Séance en hémicycle du mercredi 10 février 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Article 18

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert :

Moi aussi j'hésite, monsieur le garde des sceaux… Peut-être obtiendrai-je ainsi une réponse de votre part. Après l'affaire Samuel Paty, nous étions tous convaincus ici qu'il fallait un texte sur le séparatisme – même si le mot n'apparaît pas dans le projet de loi – et sur l'islamisme. Mais la formulation de cet article et les exemples qui nous sont donnés montrent bien qu'il n'est pas seulement destiné à régler le cas des attaques sur les personnes dans le cadre de la lutte contre le séparatisme ou l'islamisme. Mon premier réflexe est de me dire : pourquoi pas ? Encore faudrait-il s'assurer que l'objectif premier est bel et bien atteint.

Ce qui me gêne, comme mon collègue Vallaud, c'est que vous mettez sur le même plan les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes alors que le risque n'est pas de même portée : dans le cas de Samuel Paty, le risque portait sur sa vie même, et inciter au meurtre est beaucoup plus grave qu'appeler à la destruction d'un domicile. Je ne comprends donc pas pourquoi les deux types d'actes sont traités sans être différenciés alors que la loi de 1881 distingue entre les atteintes à la vie et les atteintes aux biens et que le code pénal leur consacre deux livres différents. Vous haussez les épaules, monsieur le garde des sceaux, et vous pourrez toujours expliquer que l'incitation peut être déconnectée de l'acte lui-même et à ce titre plus lourdement condamnée, mais il n'en demeure pas moins que l'atteinte aux biens, ce n'est pas le meurtre.

De plus, que signifient les mots : « un risque direct [… ] que l'auteur ne pouvait ignorer » ? J'aimerais que vous caractérisiez juridiquement cette notion car il s'agit de savoir comment prouver l'intentionnalité, autrement dit que la personne incriminée ne pouvait ignorer les conséquences possibles de la diffusion d'un élément permettant d'identifier ou de localiser la potentielle victime. Vous avez évoqué les affaires comme celle de Mila, mais je rappelle que des milliers d'internautes peuvent partager la photo de l'intéressée, voire son adresse, sans en réaliser les conséquences éventuelles. Comment pourrait-on leur dire demain que le fait même de partager une information impliquait qu'ils ne pouvaient les ignorer ?… Cet article, dans sa rédaction actuelle, va ouvrir un débat très compliqué.

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