Intervention de Cédric O

Séance en hémicycle du mercredi 10 février 2021 à 21h00
Respect des principes de la république — Article 19 bis

Cédric O, secrétaire d'état chargé de la transition numérique et des communications électroniques :

Je compléterai la réponse de Mme la rapporteure par quelques précisions techniques. En réalité, monsieur Hetzel, il y a deux sujets dans votre question. Le premier concerne le cadre juridique sur lequel nous nous fondons pour légiférer, la question étant de savoir si le projet de loi est conventionnel ou non. Rappelons, s'agissant de la proposition de loi présentée par Mme Laetitia Avia, que nous nous interrogions sur la question de savoir si, sur le même champ de contenus, nous pouvions imposer des obligations de moyens et que le Conseil d'État avait reconnu la conventionnalité du dispositif proposé par le texte. Vous demandez l'avis du Conseil d'État : il s'est donc déjà prononcé.

Ce qui a été censuré ensuite par le Conseil constitutionnel, ce ne sont pas les obligations de moyens, ni le caractère conventionnel des dispositions – il n'a d'ailleurs pas à se prononcer sur ce point – , mais l'obligation faite aux réseaux sociaux de retirer leurs contenus illégaux dans un délai de vingt-quatre heures. Le Conseil d'État considère pour sa part que cette disposition fait partie du champ d'habilitation du législateur français. L'article 19 bis ne pose donc pas de problème de conventionnalité. J'ai lu attentivement l'article du journaliste de Next INpact, Marc Rees, que vous avez cité, mais nos services juridiques ont un jugement différent compte tenu de l'avis du Conseil d'État sur la conventionnalité de la disposition, sur laquelle la France est donc habilitée à légiférer.

J'ajoute que l'Allemagne a elle-même légiféré sur la question de la haine en ligne et que la Commission européenne n'a pas relevé de caractère inconventionnel aux dispositions qu'elle a prises. Dans l'attente d'une législation européenne et compte tenu de l'interstice ouvert par la Cour de justice de l'Union européenne, il est donc possible pour les États de légiférer. Voilà pour le premier sujet.

Dès lors que nous savons que nous sommes habilités à légiférer sur la haine en ligne, reste à savoir s'il y a urgence ou non. Vous considérez, monsieur le député, que nous pouvons attendre le texte européen – je note que tous les députés Les Républicains ne partagent pas cet avis. Le Gouvernement estime quant à lui qu'il y a urgence. Nous sommes cependant contraints par un impératif de temps. Le texte du DSA ayant été présenté le 15 décembre par la Commission européenne, nous ne pouvons pas suivre un processus juridique idéal. Ce que nous faisons, c'est quasiment d'injecter une traduction de ce texte au sein de la législation française, le Conseil d'État ayant estimé que la base juridique était suffisante pour cela. Nous prévoyons en outre, à l'article 19 bis, une sorte de clause de fin de validité : dès lors que la législation européenne sera adoptée dans le cadre d'un règlement, elle écrasera la législation française.

Je crois qu'on ne peut pas faire mieux si l'on considère qu'il y a urgence à légiférer sur la haine en ligne. Si l'on pense, au contraire, que l'on peut attendre entre un et deux ans, soit le temps qu'il faudra au texte européen pour être adopté, alors on peut en effet adopter votre position. En tout état de cause, le Gouvernement est en droit de légiférer sur le plan juridique. Le Conseil d'État, dont vous demandiez l'avis, s'est prononcé de manière claire sur ce point. Voilà donc pour le second sujet.

Quant à savoir si c'est le pays d'origine ou le pays de destination qui doit prévaloir, permettez-moi, madame Dumas, de rectifier ce que vous avez dit, qui n'est pas totalement vrai. C'est en effet le pays d'origine qui prévaut, mais un système de mise à niveau, d'égalisation, est fort heureusement prévu entre le pays d'origine et le pays de destination. D'ailleurs, si le principe du pays d'origine prévalait sur la question de la haine en ligne, alors les dispositions que nous adopterions ne seraient jamais d'aucune utilité : la définition des contenus légaux et illégaux serait laissée à l'appréciation du pays de destination ; autrement dit, le législateur irlandais devrait embaucher des centaines de personnes pour examiner les contenus des vingt-sept États de l'Union européenne.

Un meilleur équilibre est évidemment prévu entre le pays d'origine et le pays de destination. En tout état de cause, ce n'est pas le pays d'origine qui prévaut, faute de quoi le système serait inopérant. La France, l'Allemagne et l'Autriche – j'ai eu l'occasion d'en discuter il y a quelques jours avec mon homologue autrichienne – ont d'ailleurs publiquement exprimé leur volonté de faire pencher cet équilibre du côté du pays de destination.

Pour conclure, nous pensons que la transcription que nous faisons du DSA au sein du cadre français reflète parfaitement la philosophie européenne s'agissant de la lutte contre la haine en ligne, tout comme d'ailleurs la volonté de la représentation nationale d'agir dans ce domaine. Je crois me souvenir que vous n'étiez pas en désaccord avec certaines dispositions de la loi Avia, madame Dumas. Vous vous êtes opposée à l'article 1er, mais pas aux dispositions relatives aux obligations de moyens. Étant donné l'urgence de la situation et la prégnance et le développement de la haine en ligne, en particulier ces derniers mois, nous avons tout intérêt à ne pas attendre le terme de la négociation du DSA, qui devrait s'achever d'ici un an ou un an et demi, et son adoption par le Parlement français. Il y a urgence à agir dès aujourd'hui.

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