Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mercredi 10 février 2021 à 21h00
Respect des principes de la république — Article 19 bis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Monsieur le secrétaire d'État, je trouve très intéressant que vous parliez d'urgence. En juin 2019, quand nous avons commencé à débattre sur la proposition de loi de la rapporteure Mme Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, nous avons été plusieurs, sur ces bancs, à vous conseiller de ne pas y introduire certaines dispositions car elles ne manqueraient pas d'être invalidées, en particulier l'obligation de résultat faite aux plateformes quant au retrait en vingt-quatre heures des contenus manifestement haineux. Nous vous avions plutôt recommandé d'introduire une obligation de moyens permettant de s'attaquer aux sources du problème, notamment la viralité des contenus et les modèles d'affaires des plateformes numériques.

Ces mesures – réduire la viralité, par exemple – n'avaient rien à voir avec des sanctions et il était possible, à l'époque, de les faire appliquer. Mais vous nous aviez expliqué qu'il fallait attendre le texte européen. En juin 2019, au début de discussions qui ont mis un an à aboutir, vous répondiez donc à nos propositions qu'il fallait attendre, et vous avez fini par produire un texte qui a été invalidé.

Maintenant que le projet de règlement européen est très avancé, je trouve particulier que vous fassiez, en quelque sorte, le coucou. Il se trouve que certaines personnes ont – excusez-moi – un peu mieux travaillé que vous : elles ont élaboré un texte qui est très bien construit parce qu'il est le produit de négociations au niveau européen et parce qu'il recherche un véritable équilibre. Vous nous dites qu'il sera possible d'opérer un rééquilibrage entre pays de destination et pays d'origine ; vous n'avez pas tort, mais nous ne pourrons y arriver qu'au niveau communautaire, à travers un texte européen. Vous ne pourrez pas le faire en décidant seuls de votre côté, alors que nous ne sommes qu'à quelques mois de la présidence française de l'Union européenne.

Vous avez d'ailleurs passé votre temps à nous dire, sur divers sujets, qu'il ne fallait surtout pas prendre de décisions avant l'Europe, par exemple s'agissant des droits voisins du droit d'auteur. Et là, voilà l'exemple que vous donnez : vous vous saisissez d'un texte travaillé par d'autres, mais vous n'en prenez qu'une partie et vous le déséquilibrez. Et vous vous félicitez d'être précurseurs et de travailler dans l'urgence ! Mais non, vous n'êtes pas précurseurs : vous ne l'avez pas fait quand on vous l'a demandé en 2019, et vous le faites à un moment où l'Europe a besoin de temps et de concertation ! Alors qu'un travail commun est en cours, les autres pays doivent se demander pourquoi nous prenons un bout du projet pour l'appliquer à notre législation nationale, alors même que sa base juridique n'est pas consolidée. Ce n'est pas la meilleure méthode si nous voulons convaincre d'autres pays !

Enfin, vous dites que l'Irlande et le Luxembourg, qui sont les deux pays d'origine des plateformes, ne pourront pas faire le travail tous seuls. Pourtant, le RGPD – règlement général sur la protection des données – fonctionne de cette manière ! Il a institué une autorité unique par État, mais elle est assortie de contre-pouvoirs : chaque autorité nationale n'agit pas toute seule dans son coin, la Commission européenne a son rôle à jouer. Or vous êtes en train de détruire tout cet équilibre.

J'imagine qu'il s'agit d'une énième opération de communication de votre part, mais le dispositif que vous proposez est fragile ; en outre, vous prétendez qu'il est urgent de l'instituer alors que vous l'avez refusé il y a deux ans. Ce faisant, vous mettez à mal le dispositif lui-même et, plus généralement, la construction européenne.

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