Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du lundi 15 février 2021 à 16h00
Santé au travail — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

commise au début de la législature et que personne n'a oubliée : la loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, imposée par Emmanuel Macron en 2017, sur le fondement de laquelle une ordonnance a notamment supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT – , ces services chargés de veiller en toute indépendance à la santé des travailleurs dans l'entreprise.

Ainsi, vous nous soumettez une proposition de loi sur la santé au travail pour nous faire oublier. Mais alors, que proposez-vous ? Personnellement, quand je pense à ce qui pourrait être fait en matière de santé au travail, je songe aux intérimaires d'Amazon qui subissent à longueur de journée des commandes vocales leur dictant quoi faire à la seconde près ; nous pourrions interdire ce type de pratique.

Je pense à mes collègues soignants qui souffrent de troubles musculo-squelettiques à force de devoir porter des personnes ; nous pourrions imposer des ratios de soignants par résident et par patient pour les soulager.

Je pense à des proches qui ont subi des burn-outs au travail ; nous pourrions reconnaître cette maladie professionnelle pour inciter les entreprises à prévenir ce risque.

Je pense aux égoutiers sans lesquels nos rues répandraient une odeur pestilentielle, mais dont l'espérance de vie est inférieure de dix-sept ans à la moyenne ; nous pourrions réduire la pénibilité de leur métier.

Je pense aux personnes qui travaillent de nuit ou en soirée, ce qui accroît leurs problèmes de santé ; nous pourrions diminuer le recours par les entreprises à ces plages horaires.

Je pense aux nouvelles formes de management qui ont émergé, aux personnes qui se suicident parce qu'elles sont harcelées au travail. Nous pourrions faire en sorte que la médecine du travail soit réellement indépendante de l'employeur pour prévenir ces risques.

Je pense aux agriculteurs, totalement exclus du champ de cette proposition de loi, qui sont exposés à des produits cancérigènes. Il conviendrait de les accompagner vers des alternatives à l'agrochimie.

Il y aurait tant à faire.

Mais non : toutes ces demandes sont considérées comme « hors sujet ». Votre proposition de loi sur la santé au travail passe complètement à côté de ces considérations. Alors que propose-t-elle ? Des documents supplémentaires – passeport prévention, document unique – , au risque de décharger l'employeur de ses responsabilités ; des délégations de compétence et de la télémédecine, au risque de nuire à la qualité des visites médicales ; une libéralisation du secteur de la médecine du travail par des certifications d'organismes privés ; des missions de santé publique qui éloignent la médecine du travail de son coeur de métier, et de nouveaux comités comme vous les aimez à la République en marche. Bref, du vide : c'est une proposition de loi technocratique, c'est la méthode « en marche sur la tête ». Si vous avez un problème de moisissures dans votre salle de bains, au lieu d'améliorer l'aération, vous remettez un petit coup de peinture ; hélas, cela ne résoudra rien.

Vous vous vantez de retranscrire dans la loi les décisions prises par les syndicats patronaux et salariaux dans le cas de l'accord national interprofessionnel, comme s'il s'agissait là d'un gage de légitimité. Mais c'est de santé au travail que l'on parle ici, et vous savez comme moi que les salariés sont subordonnés par un contrat de travail. Or la législation est là précisément pour protéger le salarié ; elle n'est pas là pour faire plaisir. L'ANI manque naturellement d'ambition en termes de protection des travailleurs, puisqu'il est signé par toutes les organisations patronales. Les syndicats de travailleurs ont certes aussi leur mot à dire, mais ils sont loin d'y trouver leur compte ; d'ailleurs la CGT, qui représente tout de même 640 000 adhérents, n'a pas souhaité signer, et la majorité des amendements que nous présentons nous ont été suggérés par les signataires de l'ANI.

Sans surprise, donc, vous passez à côté du sujet : votre vision édulcorée du monde du travail vous empêche de prendre les mesures indispensables. Certaines propositions sont même particulièrement inquiétantes.

Prenons la visite de mi-carrière, qui sera désormais obligatoire pour tous les salariés : une telle visite n'est bénéfique pour le salarié que si elle conduit le médecin du travail à adapter le poste dans son intérêt. Mais, pour cela, il faudrait que le médecin du travail soit totalement indépendant de l'employeur. Or tel n'est pas le cas. Ainsi, l'association Santé et médecine du travail observe que la capacité du médecin du travail à résister individuellement à une organisation du travail et à des plans d'activité imposés par une direction est très limitée, ou relève de l'héroïsme. Cela a été mis en évidence au moment du scandale de l'amiante, par exemple : ce ne sont certainement pas les médecins du travail qui ont permis à cette affaire d'émerger ! Le médecin du travail sera incité à faire de cette visite de mi-carrière une visite de contrôle, qui servira à savoir si, oui ou non, le salarié doit être remplacé. Malheureusement, vous passez là encore à côté du sujet, en refusant de renforcer l'indépendance et le pouvoir des médecins du travail, comme nous vous le demandons.

Pire, 600 médecins du travail vous ont écrit pour vous alerter sur les dangers que représente ce texte : en déléguant certaines de leurs missions à des professionnels de santé encore moins protégés qu'eux, vous aggravez la soumission des médecins du travail aux impératifs économiques des entreprises, au détriment de la santé des travailleurs.

Si certains articles vont très timidement dans le bon sens, d'autres présentent une menace pour les salariés. Cette proposition de loi n'est dans l'ensemble absolument pas à la hauteur des enjeux. Elle ne parle ni de la souffrance au travail, ni de ses causes profondes, confirmant ainsi nos inquiétudes. Puisque Emmanuel Macron n'aime pas le terme de pénibilité, vous ignorez tout bonnement le sujet : grande déception.

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