Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du mardi 16 février 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Nous voilà arrivés au terme de l'examen en première lecture de ce qui avait été annoncé comme la grande loi visant à lutter contre le séparatisme. Si je me félicite globalement de la qualité de la tenue des débats, ceux-ci n'auront pas permis de lever la circonspection qui était la nôtre ni de dissiper le sentiment confus d'un rendez-vous manqué.

L'équilibre du discours du Président de la République aux Mureaux que nous avions, comme d'autres, salué, a été perdu de vue et les annonces, la semaine dernière, concernant l'égalité des chances, ne sauraient tenir lieu de contrepartie à cette loi. Comme souvent depuis le début du quinquennat, la main droite est visible, le poing fermé, tandis que la main gauche reste tapie au fond des poches.

Vivrons-nous mieux demain grâce à cette loi ? Nous permettra-t-elle de surmonter les fractures, le repli des uns, l'entre-soi des autres, de ramener à la République, par la République, celles et ceux qui s'en défient ou la défient ? Permettra-t-elle de tenir l'équilibre exigeant de « la République jusqu'au bout », comme disait Jaurès, avec d'un côté l'ordre républicain et de l'autre la promesse républicaine ? Il est permis d'en douter.

Depuis 2012, la France a été durement frappée par ses ennemis et les cicatrices qui demeurent nous obligent. Nous sommes, et nous devons demeurer, sans complaisance face au séparatisme, face à l'islamisme radical, face au terrorisme. De ce point de vue, n'ayez pas le moindre doute sur notre détermination.

Nous sommes aussi, par notre histoire, attachés au respect des principes de la République et à la protection, contre les attaques dont ils sont l'objet, de celles et ceux – fonctionnaires de police ou de gendarmerie, professeurs, soignants – qui ont décidé de se mettre au service de l'intérêt général et au fond d'être fidèles à un certain esprit de résistance.

Fidèles à l'héritage de Jean Jaurès, d'Aristide Briand, de Ferdinand Buisson, nous sommes attachés à la laïcité, c'est-à-dire à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle est aujourd'hui l'oxygène qui nous permet de vivre ensemble dans le respect de nos différences et de notre commune humanité.

Nous sommes attachés à la dignité humaine, voilà pourquoi vous nous avez trouvés à vos côtés pour soutenir plusieurs dispositions de ce texte, notamment celles qui visent à renforcer l'obligation de neutralité de tous les agents qui contribuent à l'exécution d'une mission de service public, à assurer la protection fonctionnelle des agents publics ou encore à accroître le contrôle du financement des cultes, dans la lignée de Paul Deschanel. Nous avons également appuyé des mesures visant à lutter contre les violences faites aux femmes ou à renforcer les contrôles des établissements scolaires. Par ailleurs, vous avez eu la bienveillance de retenir certains de nos amendements. Tant mieux.

Mais nous sommes aussi viscéralement attachés à la liberté et à l'équilibre des lois qui la fondent, cette liberté qui est, non un mot, mais un principe de vie en commun. De ce point de vue, nous ne pouvons considérer la loi dont nous avons débattu comme une grande loi libérale, comme l'est la loi de 1901 ou celle de 1905. De nombreuses dispositions ont inquiété les représentants associatifs, les cultes, la Défenseure des droits ou encore la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Si nous nous exprimons ainsi, c'est parce que nous connaissons l'Histoire et parce que nous avons l'obsession qu'après nous, personne ne puisse se servir de l'ordre républicain, tel que nous l'aurons bâti, pour se retourner contre lui. Il n'y a pas d'un côté les mous et de l'autre les durs, il y a d'un côté les républicains et de l'autre les ennemis de la République, qui ne s'achètent jamais une vertu pour longtemps. Aucun badinage télévisé ne devrait nous le faire oublier.

Nous ne sommes pas convaincus, vous le savez, que notre assemblée ait trouvé le juste équilibre s'agissant de la liberté d'association et du contrat d'engagement. L'ambiguïté de certaines de vos réponses, par exemple lorsqu'il s'agit de savoir si le retrait d'une subvention est, pour les collectivités, une compétence liée, aura fini d'accroître nos doutes. Nous ne sommes pas non plus convaincus par la rédaction de l'article relatif à la responsabilité du fait d'autrui des associations : là encore, une ambiguïté demeure dans la rédaction. Une seule certitude : la liberté d'association ne sort pas renforcée de cette loi.

Nous nourrissons la même inquiétude concernant la pénalisation de la diffusion des informations personnelles. Si nous comprenons parfaitement l'intention, nous regrettons que vous n'ayez pas pris en considération notre amendement qui reprenait pourtant l'avis du Conseil d'État pour dégager explicitement la liberté d'informer du champ de cette disposition. De même, le fait de ne pas avoir distingué les atteintes aux biens des atteintes aux personnes, de ne pas avoir hiérarchisé les risques ni proportionné les peines encourues pose de sérieuses difficultés.

Nous redoutons enfin l'imbroglio que ne manqueront pas d'entraîner votre réforme des lois de 1905 et de 1907, l'instauration d'un système de double déclaration et la création d'une troisième catégorie d'association. Je suis en tout cas certain que nous nous réservons bien des contentieux lorsqu'il s'agira de déterminer ce qui relève du culturel et du cultuel.

Mais nous déplorons par-dessus tout que vous ayez réduit la République à des règles, à des injonctions et à des motifs d'ordre public, que vous n'ayez pas fait choisi de faire vivre la République et ses principes au quotidien, en actes. Ce débat a offert à la droite l'occasion de parler du voile, de la théorie du genre et de bien d'autres sujets encore, mais nous n'avons pu parler de la lutte contre les discriminations qui frappent tant de nos concitoyens, du racisme qui blesse, de l'intégration que chacun veut pour lui-même ou pour ses enfants, de la politique du logement – alors que tant de maires, depuis vingt ans, ne respectent pas la loi de solidarité et renouvellement urbain, dite SRU – ou encore de mixité sociale à l'école : tant de questions qui, pourtant, relèvent de la lutte contre le séparatisme.

Notre philosophie, depuis un siècle, consiste à ne jamais dissocier le combat laïc et le combat social. En les envisageant séparément, vous prenez le risque de ne remporter aucune de ces batailles. Sur tous ces sujets, monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez, ainsi que le Gouvernement, choisi l'abstention. Nous sommes en première lecture. Le débat parlementaire va se poursuivre. Sur bien des points qui suscitent de l'inquiétude, ce texte doit impérativement être rééquilibré et réécrit. À ce stade, l'abstention sera la réponse à vos impasses.

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