Intervention de Valérie Six

Séance en hémicycle du mercredi 17 février 2021 à 21h15
Lutte contre les inégalités mondiales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Six :

La pandémie de covid-19 a bouleversé les enjeux de l'aide publique au développement en faisant émerger la nécessité d'une refonte de la gouvernance de notre politique de développement solidaire. Parce qu'elle exacerbe des inégalités déjà existantes, la crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie a une incidence considérable sur les progrès réalisés en matière de développement. Ce projet de loi se présente donc comme une rénovation des méthodes d'action de la politique de développement, sous la forme d'un partenariat renouvelé avec les pays partenaires et avec tous les acteurs du développement concernés en France, en particulier les organisations de la société civile et les collectivités territoriales.

L'aide au développement est un domaine où l'on légifère peu, car les moyens importent plus que les termes juridiques. Réaffirmer des objectifs et définir des principes, voilà ce qui doit toutefois concentrer l'énergie du législateur français. Au nom du groupe UDI et indépendants, je m'arrêterai donc sur certains points concrets du projet de loi auxquels correspondent ces objectifs et ces principes.

Les moyens constituent bien entendu l'objectif central, le nerf de la guerre. S'agissant des dispositions budgétaires de ce projet de loi de programmation, nous nous interrogeons encore sur la période prévue, à savoir la période 2020-2025, alors que le dispositif sera naturellement circonscrit à la fin de ce quinquennat, donc à 2022 : quelle peut être la portée d'une telle mesure ? S'agit-il d'un transfert de responsabilité au prochain gouvernement ?

Sans vision de long terme et en comparaison avec la portée de la loi de programmation militaire et celle de la recherche, ce projet de loi de programmation semble à certains égards en demi-teinte, voire fragile. Nous avons donc souhaité renforcer le contrôle parlementaire sur cette question en 2022. Compte tenu de son rôle en matière budgétaire, c'est au Parlement qu'il revient de détailler, d'approuver et d'évaluer tout objectif et toute trajectoire de ce type. Les représentants de la nation que nous sommes sont, de fait, des acteurs de la politique de développement, dont ils doivent contrôler la bonne exécution. Nous le rappellerons par le biais de plusieurs amendements.

Nous attendons ainsi un engagement plus clair du Gouvernement sur la trajectoire budgétaire entre 2023 et 2025, en rappelant que la France doit respecter les engagements pris dans le cadre du programme d'action d'Addis-Abeba. Se fixer des objectifs ambitieux est une chose, y être liés en est une autre. La France peut être fière d'avoir atteint la part de 0,55 % du revenu national brut consacrée au développement international, mais il est plus difficile de percevoir dans quelle direction le Gouvernement s'engage pour atteindre 0,7 %, en revanche.

J'en viens au premier principe qui doit selon nous guider la solidarité internationale française : la transparence. C'est un point cher à notre collègue Meyer Habib, qui a suivi les débats en commission, même si, retenu dans sa circonscription, il n'a pu y participer. En particulier, le traçage des financements de l'AFD doit être amélioré et ses missions exclusivement limitées à la mise en ? uvre de la politique d'aide au développement de l'État à l'étranger et à la contribution au développement des collectivités territoriales. Il n'est pas acceptable que, ces dernières années, l'AFD ait apporté son soutien financier à des initiatives qui ne semblent que lointainement liées au développement.

Pour mieux évaluer les résultats de l'action de la France et renforcer la transparence concernant l'utilisation des moyens engagés, le projet de loi prévoit la création d'une commission indépendante d'évaluation. Bien que nous ne soyons pas favorables à la multiplication systématique des comités et autres commissions, tâchons de faire en sorte que celle-ci soit utile et réellement indépendante. À cet égard, nous nous réjouissons de l'adoption, à l'article 9, de l'amendement du rapporteur.

Comme l'ont montré les débats, la composition d'une commission ne relève pas du domaine de la loi. Par souci de transparence et d'équilibre, il semble donc nécessaire d'y ajouter les parlementaires dont le rôle est de participer à l'évaluation des politiques publiques transversales. Nous avions en ce sens souhaité étendre le contrôle ex ante et ex post de la Cour des comptes dans le cadre des différentes missions de contrôle des politiques publiques d'aide au développement, grâce à la mise en place de cette commission indépendante qui serait présidée par le Premier président de la Cour des comptes.

Présenté comme « un nouveau paradigme », le renforcement de la dimension partenariale ne peut s'effectuer sans les acteurs de la société civile et les collectivités territoriales. Nous souscrivons à cet autre principe. Nous saluons en ce sens le doublement d'ici à 2022 des fonds de soutien de l'État aux organisations de la société civile et aux collectivités territoriales.

Je ne peux évoquer les collectivités territoriales sans citer les territoires ultramarins, gravement touchés par la crise sanitaire. Leur économie est considérablement dégradée par les mesures mises en place pour y faire face. L'AFD a certes déployé une aide d'un milliard d'euros dans le cadre de l'initiative « Outre-mer en commun », afin d'accompagner ces territoires durant la crise sanitaire mais, alors que la suspension du tourisme perdure, les territoires ultramarins lancent un cri d'alarme ! Il est indispensable qu'ils bénéficient de l'augmentation des crédits de l'AFD et qu'elle soutienne la relance de leur activité économique. Tel est l'objet de l'amendement de notre collègue Nicole Sanquer.

Il est également nécessaire de poursuivre les discussions sur l'octroi de l'aide au développement conditionnée à la délivrance effective des laissez-passer consulaires. En effet, si nous souhaitons renforcer notre aide au développement, surtout en cette période de crise, il faut aussi la conditionner à une totale coopération des pays partenaires en faveur de la réadmission de leurs ressortissants lorsque ceux-ci ne sont pas admis en France. Cette coopération doit être effectuée en commun dans un cadre européen.

Dans une logique partenariale avec les pays ayant accès à l'aide publique au développement, il est normal qu'il existe un haut degré de coopération concernant la maîtrise de l'immigration et la capacité de certains États à maîtriser leurs frontières, à combattre les réseaux de passeurs ou encore à moderniser leur état civil. En ce sens, l'aide au développement doit être mobilisée dans le cadre d'engagements réciproques avec nos partenaires. Cette idée a déjà été abordée par Jean-Christophe Lagarde lors du débat sur la politique migratoire de la France et de l'Europe à l'automne dernier.

Enfin, la politique de développement doit évoluer avec les défis de son siècle. Gardons à l'esprit que l'aide publique au développement a pour objectif le développement économique et l'amélioration des conditions de vie. Elle n'a donc pas de sens si, dans le même temps, des zones entières du globe deviennent invivables. À cet égard, il est essentiel de s'assurer de la cohérence entre la politique de développement solidaire et celle menée en matière environnementale et climatique. Si les migrations liées à des transformations environnementales ne sont pas nouvelles, n'oublions pas que le nombre des « réfugiés climatiques » ne cesse désormais d'augmenter du fait de l'intensification des phénomènes climatiques extrêmes. D'après l'Organisation internationale pour les migrations – OIM – , les catastrophes climatiques pourraient provoquer le déplacement d'environ 250 millions de personnes d'ici à 2050. Parmi les régions à risque, citons notamment l'Afrique subsaharienne du fait des sécheresses, l'Asie du Sud et du Sud-Est exposée aux typhons et aux tsunamis, ou encore les petits États insulaires face à la montée du niveau des mers. La pauvreté crée de fait un manque de résilience qui aggrave les inégalités climatiques.

Nous nous réjouissons donc de la déclaration du ministre Jean-Yves Le Drian selon laquelle « sur 2 euros de financement AFD, 1 euro sert directement le combat contre les dérèglements climatiques ». Il reviendra sans doute à la commission indépendante d'évaluer la réalité de cet engagement ô combien nécessaire.

Chers collègues, nous abordons ce texte avec bienveillance et nous nous réjouissons de la recherche du consensus qui a présidé en commission. Cependant, nous attendons de voir à quels niveaux les principes que j'ai détaillés seront intégrés : nous espérons des éclaircissements lors des débats, en particulier sur l'aspect quelque peu artificiel d'une programmation budgétaire qui arrive à la fin du quinquennat.

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