Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 9h00
Protection des mineurs victimes de violences sexuelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

« MeToo », « MeTooGay », « MeTooInceste », « Iwas », « IwasCorsica » : ces mots-dièses relayés sur les réseaux sociaux par des milliers de victimes – très majoritairement des femmes, mais aussi des hommes, mais surtout des personnes qui étaient enfants à l'époque des faits – témoignent non seulement du caractère massif et systémique des violences sexuelles, mais également des défaillances – voire des résistances – institutionnelles à reconnaître et à déconstruire les mécanismes de la culture et des rapports de domination qui nourrissent et structurent ces violences. Grâce à ces mobilisations, c'est tout autant la parole des victimes que l'écoute de la société qui se sont libérées.

Les enfants sont les premières victimes des violences sexuelles. Chaque année 130 000 filles et 35 000 garçons subissent violences et tentatives de viol, en plus des 94 000 femmes et 16 000 hommes majeurs concernés par ces crimes. Parmi l'ensemble des violences sexuelles, 80 % débutent avant 18 ans, 51 % avant 11 ans et 21 % avant 6 ans. Face à ces violences, ni la société ni les institutions ne sont à la hauteur.

S'il existe peu d'enquêtes approfondies sur le traitement judiciaire des violences sexuelles sur mineur, les quelques données existantes, probablement sous-estimées, sont édifiantes : le nombre d'agressions est supérieur au nombre de plaintes qui est aussi plus important que le nombre de condamnations. Pour deux tiers des victimes, la dénonciation de l'agresseur n'a produit aucune conséquence. La prise en charge médico-psychologique est insuffisante tout autant que la protection judiciaire. Au terme des enquêtes, 70 % des plaintes aboutissent à un classement sans suite, dont 15 % pour absence d'infraction, soit deux fois plus que pour les affaires concernant des personnes majeures. En outre, le phénomène de correctionnalisation des viols, c'est-à-dire leur requalification en atteinte ou agression sexuelle, est important. En 2018, la loi renforçant l'action contre les violences sexuelles et sexistes a d'autant moins permis de corriger ces graves carences que les moyens de la justice souffrent d'une insuffisance chronique.

La proposition de loi débattue aujourd'hui nous donne l'opportunité de reprendre une discussion parlementaire importante qui s'est arrêtée bien trop tôt. Je salue l'initiative de Mme la rapporteure Santiago et son travail de longue date sur ces questions avec les associations et les collectifs de victimes, qui portent depuis des années ce combat et attendent beaucoup de nos débats. Je l'assure également de ma solidarité face aux méthodes quelque peu cavalières qui ont conduit à la totale réécriture du texte en commission.

Dès 2017, le groupe La France insoumise avait interpellé le Gouvernement sur la nécessité de clarifier le droit en instaurant une présomption de non-consentement à 15 ans. Tant lors des débats sur la loi renforçant l'action contre les violences sexuelles et sexistes en 2018, qu'à l'occasion du dépôt, en 2019, de la proposition de loi visant à lutter contre les violences sexuelles à l'égard des enfants, qui était cosignée par des députés de tous bords, nous avons plaidé pour un renversement de la charge de la preuve et l'instauration d'une présomption simple de contrainte pour les mineurs de moins de 13 ans.

Madame la rapporteure, votre proposition va plus loin. L'article 1er, réécrit en commission, crée une nouvelle infraction de viol sur mineur, dès lors qu'un majeur commet un acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital, de quelque nature qu'ils soient, sur un mineur de 15 ans. C'est un changement majeur car si le code pénal réprime d'ores et déjà les violences sexuelles sur mineur, c'est souvent à l'enfant victime de prouver son non-consentement. Avec cette nouvelle disposition, ce ne sera plus le cas. C'est heureux et nous soutenons cette avancée.

Nous souhaiterions par ailleurs aller plus loin dans la lutte contre les violences sexuelles sur mineur. Il faut s'attaquer à la culture du viol qui légitime et perpétue ces violences. C'est le sens des trois amendements que nous avions déposés, mais deux d'entre eux ont malheureusement été déclarés irrecevables au motif qu'ils n'auraient aucun lien, même indirect, avec le texte. Notre amendement n° 130 demandait pourtant au Gouvernement un rapport pour évaluer la pertinence d'une formation des différents professionnels de la santé, de la justice ou de l'éducation en contact avec des mineurs pour leur permettre de détecter ces violences et accompagner les victimes. L'amendement n° 131 demandait quant à lui au Gouvernement un rapport sur la mise en place d'une campagne massive de lutte contre les violences faites aux mineurs, destinée à tous les enfants scolarisés et adaptée à leur âge. Le silence autour des violences sexuelles amène souvent les enfants à ignorer l'anormalité et la gravité de la situation qu'ils subissent, d'où l'importance de mener des actions de prévention.

Ces amendements avaient tout autant un rapport avec le texte que le seul qui a été miraculeusement épargné. Il pointe la nécessité d'établir scientifiquement des statistiques plus sérieuses qu'elles n'existent actuellement. Nous regrettons que nos amendements n'aient pas été retenus. Nous aurions aimé qu'ils soient débattus, voire adoptés.

Nous voulons rappeler l'urgence de construire, contre la culture du viol, une culture du consentement qui déconstruise les rapports de pouvoir et de domination à l'origine de toutes les violences. Cette proposition de loi constitue une étape dans un travail politique qui doit se poursuivre, au-delà du vote de ce jour, par des politiques publiques d'ampleur. Il nous appartient, en tant que parlementaires, de contrôler et, au besoin, de sanctionner, les mesures qui doivent être prises pour mettre fin aux violences sexuelles commises sur les mineurs, ce à quoi nous aspirons toutes et tous.

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