Intervention de David Habib

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavid Habib :

Tout d'abord, je voudrais dire à M. Lagleize que je me retrouve totalement dans ses propos ; je le remercie de les avoir tenus.

Engager un débat sur les nécessaires mutations du secteur aérien face aux défis écologiques et économiques est une entreprise périlleuse pour la majorité. Le débat de cet après-midi nous démontrera l'importance, mais aussi l'extrême fragilité du secteur aérien, alors même que le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que le Gouvernement nous soumettra dans trois semaines, est de nature à fracasser notre secteur aéronautique et empêcher tout développement vertueux de la filière. D'une certaine façon, je remercie le groupe Dem – qui a voulu ce moment de réflexion sur le secteur aérien – de mettre en difficulté le Gouvernement.

Je commencerai par deux questions. Quelle est la date d'application de l'article 36 du projet de loi qui interdit toute liaison aérienne à moins de deux heures trente de Paris ? Réponse : « le dernier dimanche de mars de l'année suivant celle de la promulgation de la loi » ; soit, si la loi est promulguée en 2021, le dernier dimanche du mois de mars 2022. Seconde question : quand les premiers avions dits propres sont-ils attendus ? M. Lagleize l'a dit tout à l'heure : au mieux pas avant 2035, pour ce qui est des prototypes. En somme, le groupe Dem – comme celui de la République en marche – vote l'article 36, supprime huit liaisons intérieures, condamne 3 millions de passagers à trouver une autre solution – dont le bénéfice écologique, du fait des difficultés de report modal, n'est pas établi – et nous propose comme seule solution alternative de patienter jusqu'en 2035.

Non, mes chers collègues, la prohibition n'a jamais été une solution. Nous voulons tous lutter contre la dégradation du climat ; faisons ce choix sans attendre 2035. Comme vient de le rappeler M. Lagleize, une feuille de route environnementale a déjà été établie par le secteur aérien, fondée sur le renouvellement de la flotte par des avions de nouvelle génération et l'incorporation de carburants alternatifs durables. À court terme, et avant 2035, un grand plan ferroviaire doit permettre de développer les plateformes intermodales et prolonger les LGV, les lignes à grande vitesse, jusqu'aux territoires non desservis.

Les deux régions les plus touchées par l'article 36 sont la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie : le secteur aérien y représente 170 000 emplois – soit près de la moitié des 350 000 emplois du secteur en France – , 22 % de l'emploi industriel des deux régions, et 1 100 entreprises qui, aux côtés d'Airbus, Dassault et Safran Landing Systems, assurent des fonctions de sous-traitance mondialement reconnues. Beaucoup, notamment dans la région parisienne, l'ont oublié : l'article 36 aura un impact sur 70 000 emplois directs et indirects. La Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie seront les premières à en supporter le coût social. Ironie : ces deux régions, mis à part Bordeaux et Montpellier, n'ont pas et n'auront pas de LGV puisque la République en marche et le MODEM ont gelé la poursuite du projet LGV Sud-Ouest que nous, socialistes, avions soutenu.

En 2035, nous disposerons d'avions propres et neutres en carbone. Les industriels s'orientent vers une nouvelle architecture de l'avion, un nouveau moteur plus petit et qui, placé à l'arrière, aura un rendement propulsif accru, des avions à propulsion hydrogène et des nouveaux carburants. Mais là encore, le Gouvernement ne fait rien pour inciter à leur utilisation. Leur coût est trois à quatre fois plus élevé que ceux utilisant du kérosène ; que fait-on pour en favoriser l'usage ? Rien.

Le Gouvernement s'apprête à déstabiliser le secteur aérien au pire moment : en 2020, Airbus a perdu 7 milliards d'euros et le groupe Air France-KLM 11 milliards. On dénombre 80 milliards de pertes au niveau européen et 315 milliards au niveau mondial ; vous savez ce que cela signifie pour les entreprises de la construction aérienne. Vous annoncez des aides, y compris pour Air France, mais celles-ci sont englouties par les déficits avant même qu'elles ne soient versées. En outre, vous ne faites rien pour éviter certains choix calamiteux de notre compagnie nationale qui se retire, par exemple, de nombreuses destinations – comme Biarritz – pour imposer sa filiale low cost Transavia, qui ne compte dans sa flotte que des avions Boeing et pas un seul Airbus.

Monsieur le ministre délégué, le Gouvernement s'apprête à déstabiliser ce secteur alors qu'aucun pays ne vous suit, et vous le faites en ignorant que les transferts de vols se feront, selon les régions, au bénéfice d'aéroports étrangers comme ceux de Bilbao ou de Francfort, entraînant d'ailleurs des coûts en carbone supplémentaires. Vous le faites alors que ce secteur est à haute densité scientifique, qu'il emploie 35 000 chercheurs, qu'il est l'un des premiers exportateurs et qu'il assure un maillage territorial de PME. Vous le savez, puisque vous êtes originaire de la région Nouvelle-Aquitaine qui, comme l'Occitanie, dispose d'un maillage exceptionnel.

Mais après tout, notre pays a l'habitude de s'asseoir sur les secteurs qui marchent bien, alors pourquoi changer ? Comme l'a dit M. Lagleize, nous sommes à un moment charnière. Les dispositions qui nous seront proposées dans trois semaines peuvent mettre à bas notre industrie aéronautique. Nous pouvons aussi rebondir et offrir un vrai avenir à un secteur aéronautique plus vertueux, plus respectueux de l'environnement et plus protecteur de ses emplois. Mais cela suppose du courage politique, un vrai discours et la mobilisation des forces sociales, et notamment syndicales ; pour ma part, j'y suis prêt.

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