Intervention de Bénédicte Taurine

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBénédicte Taurine :

À elle seule l'aéronautique explique les deux tiers de la dégradation du solde commercial industriel français pour l'année 2020. Après le rebond historique des ventes d'avions et de moteurs en 2019, pour 65 milliards d'euros, nous sommes confrontés à une chute des livraisons d'une ampleur inédite. En 2020, elles ont diminué de plus de 45 %, pour s'établir à 35 milliards.

Des entreprises telles qu'Airbus, Safran, Thales ou Dassault étaient parvenues à créer environ 12 000 emplois avant mars 2020, mais la réduction du trafic aérien ainsi que les baisses de commandes ont provoqué la perte de plus d'emplois que l'ensemble des postes créés ces dix dernières années. Si l'on ajoute les sous-traitants, on compte quasiment 14 000 emplois supprimés. Avec ces licenciements, des savoir-faire uniques disparaissent, alors qu'il faudrait les conserver sur le sol français. Je pense aux salariés d'Aubert et Duval, spécialiste de la métallurgie de pointe, à Pamiers, à ceux d'Aluminium Sabart, à Tarascon-sur-Ariège, ou de Mecaprec à Lavelanet. Le secteur constitue l'un des principaux filons d'innovation en France ; l'État ne devrait pas l'abandonner comme c'est le cas actuellement. Les licenciements se multiplient.

Les enjeux annoncés du plan de relance du Gouvernement sont la transition écologique, la préservation de nos savoir-faire, et la sauvegarde des emplois nationaux. Si je m'en tiens à ce que je vois dans mon département, ces objectifs sont loin d'être atteints : on constate, bien au contraire, une augmentation des licenciements. Des évolutions menaçantes se dessinaient pour la filière avant la crise, que ce soit du fait des dangereuses stratégies d'achats extra-européens en situation de monosource de la part des donneurs d'ordres, ou des encouragements non voilés à délocaliser adressés par ces derniers à leurs sous-traitants. La conditionnalité des aides n'a en aucune manière fait allusion aux objectifs que j'ai évoqués, pourtant sans référence à ces conditions, le Gouvernement laissera partir des emplois vers les pays tiers.

La plus grande fonderie d'aluminium d'Europe, capable de fournir à nos industries les métaux nécessaires à la construction des avions, se trouve en France, à Dunkerque. Nous n'avons qu'à en profiter : il faut arrêter d'importer des États-Unis, ce que nous pourrions produire en France. Je pense aussi au recyclage du titane qui réduirait également l'impact du transport aérien sur l'environnement. La durée de vie moyenne d'un avion est passée de 31 à 26 ans. À terme, ce sont autant d'avions qui seront laissés vides sur le tarmac – et ils sont déjà nombreux – , alors qu'ils pourraient être recyclés. Il n'existe en France que deux entreprises de recyclage : nous considérons qu'il faut investir dans ce secteur et anticiper sur le démantèlement de centaines d'avions, ce qui permettrait également de soutenir et de développer un secteur essentiel.

En suivant la trajectoire que prendront les technologies à venir, il faut soutenir l'ensemble des innovations menées par des entreprises nationales. Or l'exécution pratique des mesures du plan Aéro est laissée aux seules mains des grands groupes qui cherchent à comprimer toujours plus les coûts pour distribuer les excédents à leurs actionnaires, en lieu et place d'une réelle stratégie industrielle dictée par la puissance publique qui seule est capable de défendre les intérêts nationaux, la relocalisation et l'emploi, à la hauteur des enjeux et surtout de la planification écologique.

On nous dit que le transport aérien est un secteur d'avenir, notamment grâce au développement de l'hydrogène. Le plan Aéro du plan de relance y consacre 1,5 milliard d'euros, mais cette technologie nécessite un investissement considérable en recherche et développement pour produire et acheminer l'hydrogène. Aujourd'hui, les technologies pour la production d'hydrogène vert à très grande échelle ne sont pas au point. La production d'hydrogène par électrolyse nécessite une quantité d'énergie colossale : faire voler les avions en provenance et à destination de Paris-Charles-de-Gaulle, en 2018, aurait nécessité l'énergie de 5 000 kilomètres carrés d'éoliennes, soit, approximativement, la superficie du département de l'Ariège.

La question énergétique et celle de la production d'électricité verte respectueuse de l'environnement constituent des défis majeurs de ces prochaines années. Le secteur aérien évolue, mais, avec ou sans hydrogène, il n'y aura pas de transition énergétique aboutie sans un effort de sobriété.

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