Intervention de Laurence Dumont

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 21h30
Mission d'information sur les enfants sans identité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Dumont, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Que fait la France face au fléau des enfants sans identité ? Jusqu'au vote du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, hier, elle le traitait de façon éclatée, au coup par coup. Au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pas moins de cinq missions, délégations et autres centres de crise traitent partiellement le sujet – même si, depuis septembre 2019, un nouveau portefeuille a été créé concernant les questions de justice et d'état civil afin de renforcer la coordination entre les services du ministère en matière d'état civil.

Les opérateurs tels que l'AFD et CIVIPOL, ou encore le centre des opérations humanitaires et de stabilisation – COHS – du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mènent déjà des actions d'appui à l'état civil, de façon indirecte pour l'AFD et le COHS, de manière plus ciblée pour CIVIPOL, mais focalisées essentiellement sur la constitution de fichiers nationaux biométriques sécurisés. Les actions liées spécifiquement à l'enregistrement des naissances sont plus récentes et moins nombreuses ; ce sont pourtant les plus déterminantes.

Les postes diplomatiques suivent également les projets dans les pays concernés, mais sans feuille de route ni sensibilisation particulière. J'ai été étonnée de constater que certains ambassadeurs de pays particulièrement touchés par ce fléau avec lesquels j'ai échangé – je ne citerai pas de noms – n'avaient pas ou peu connaissance du problème.

La création de conseils locaux de développement, prévue par le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, constitue une opportunité réelle, tant pour sensibiliser au sujet que pour lancer des projets – notamment de coopération décentralisée.

Si la coopération décentralisée peut jouer un rôle déterminant, elle reste marginale. Pourtant, là où elle a été mise en oeuvre sur des questions d'état civil, le bilan est très positif, tant pour les collectivités et les agents français que pour leurs homologues des pays concernés.

Enfin, au niveau des instances internationales, si la France participe à la négociation et à la promotion des grands textes qui mentionnent l'accès à l'état civil, elle ne porte pas encore d'actions de plaidoyer spécifiques en la matière. À l'Assemblée nationale, l'APF s'est emparée du sujet depuis longtemps. J'avais d'ailleurs, sous son égide, organisé ici, il y a déjà plusieurs années, un débat réunissant de nombreux acteurs et organisations, en présence notamment de Robert Badinter. Lors de l'assemblée générale de Lusaka en 2016, l'Union interparlementaire a adopté à l'unanimité l'inscription d'un point d'urgence à son ordre du jour à l'initiative de la France.

La commission des affaires étrangères a présenté son rapport fin septembre et l'Assemblée a intégré l'enregistrement des naissances à ses priorités d'aide publique au développement en 2020 grâce au vote d'hier soir. Donc, ça avance !

Mais le constat sur l'action de la France en matière d'accès à l'état civil correspond finalement à celui dressé au niveau international, à savoir le manque de coordination et des actions encore insuffisantes et peu efficaces. Je nourris l'espoir que l'introduction de l'enregistrement des naissances et la création d'états civils fiables au sein de notre droit soient en mesure de changer la donne.

D'autres actions sont à mettre en oeuvre. Les vingt-trois propositions présentées par Aina Kuric, que nous avons voulu les plus opérationnelles possibles, peuvent nous permettre d'être un acteur absolument majeur sur le sujet. Cela commence par agir ici, sur notre territoire, en France. Nous devons nous montrer exemplaires pour entraîner d'autres pays dans notre sillage. J'en appelle au ministre de l'intérieur et aux députés pour que nous prévoyions le renforcement des moyens techniques et humains dédiés à l'état civil en Guyane et à Mayotte. J'en appelle aussi au ministère des affaires étrangères pour accentuer la coopération bilatérale en matière d'état civil avec les pays limitrophes de la Guyane et de Mayotte et pour la reconstitution de l'état civil des mineurs étrangers.

Il existe aussi des leviers financiers et techniques que nous pouvons mettre au service de cette cause. Cela doit se traduire dans le prochain projet de loi de finances par une contribution financière additionnelle à l'UNICEF fléchée sur cette question et par une contribution volontaire au groupe de travail de l'ONU sur l'identité juridique. Celle-ci est d'ailleurs d'ores et déjà inscrite dans le projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Pour les plus petits projets, le fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain – le fameux FSPI du Quai d'Orsay – pourrait être utilisé pour des projets de renforcement de l'état civil.

Enfin, cela a été rappelé à l'instant, la France a la chance de posséder un des premiers réseaux diplomatiques au monde. En le mobilisant, elle serait sûre d'avoir un impact fort sur l'enregistrement des naissances et la délivrance d'actes de naissance. Gageons que cela se concrétise avec la loi relative au développement solidaire. Le Quai d'Orsay constitue ici l'acteur essentiel de notre action. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, il est essentiel que votre ministère développe sa communication et son suivi sur la thématique, dédie un ou plusieurs postes aux enfants sans identité – pour l'heure, un demi-équivalent temps plein seulement y est consacré – , engage les diplomates à réaliser des actions de plaidoyer dans les grandes organisations internationales, renforce l'appui à l'enregistrement des naissances dans l'aide publique au développement. L'AFD et CIVIPOL pourraient par exemple – c'est une de nos propositions – inclure systématiquement l'enregistrement des naissances lorsqu'ils participent financièrement à des projets d'enrôlement de la population et de création de bases de données biométriques. J'ai évoqué ce point cet après-midi même avec le directeur de l'AFD, Rémy Rioux, lors d'une audition de l'APF. Je pense qu'il faudra y revenir. Là encore, la loi relative au développement solidaire devrait permettre d'avancer sur ce volet.

Une opportunité évidente est bien sûr l'espace francophone, déjà très engagé sur la question et qu'il faut soutenir et encourager. La France peut aussi utiliser ses représentations permanentes à New York et à Genève pour promouvoir la thématique à l'ONU, que ce soit dans le cadre du dialogue régulier avec les agences onusiennes, lors de prises de parole ou lors de la négociation de résolutions sur les droits de l'enfant ou d'autres sujets liés à la thématique. Vous le voyez, les occasions ne manquent pas. Aina Kuric a aussi évoqué notre proposition qui cible plus spécifiquement l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui est une opportunité majeure de promotion de l'enregistrement des naissances et est tout à fait sous-utilisé.

Enfin, l'organisation d'événements dédiés à la thématique est également indispensable pour la faire connaître. Le 20 novembre étant la journée internationale des droits de l'enfant, une conférence sur les enfants sans identité pourrait être organisée chaque année par le ministère des affaires étrangères, en partenariat avec des organisations internationales et avec la société civile.

Mes chers collègues, le Parlement a aussi un rôle à jouer pour la diffusion de cet objectif de développement durable 16. 9 auprès des pays partenaires de l'aide publique au développement, notamment, bien sûr, dans le cadre des travaux de la commission des affaires étrangères, mais aussi au sein des missions parlementaires et des groupes d'amitié. Ces derniers peuvent constituer de véritables espaces de discussion avec les parlementaires des pays concernés sur leurs besoins en matière d'état civil. Par ailleurs, les députés des Français de l'étranger qui seront membres des conseils locaux de développement constitués auprès des ambassades ont un rôle clé à jouer pour susciter et soutenir les projets que les ambassades peuvent financer.

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