Intervention de Brigitte Liso

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 21h30
Mission d'information sur les enfants sans identité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Liso :

« Il ne suffit pas de naître pour être ; il ne suffit pas d'être pour exister. » C'est par ces mots prononcés par la rapporteure Dumont en commission des affaires étrangères que j'ai appris l'existence des enfants sans identité, ces enfants que l'on appelle également enfants fantômes ou enfants invisibles et que, pour ma part, j'appellerai des enfants non nés.

Dès sa naissance, l'enfant a des droits : le droit à un nom et à une nationalité. Ce principe, qui figure dans la Déclaration des droits de l'enfant, votée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1959, vient compléter celui figurant dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, adopté onze ans plus tôt, en 1948, qui prévoit que « chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique ». Ce principe rejoint d'ailleurs le concept qu'avait théorisé Hannah Arendt, qui parlait du « droit à avoir des droits ». Car oui, être inscrit à l'état civil conditionne toute notre existence sociale.

Malgré les décennies qui nous séparent de ces textes, le problème est toujours prégnant et le sujet trop méconnu, qui mérite pourtant toute notre attention. Le rapport d'information dont nous débattons ce soir contribue donc à une sensibilisation nécessaire face à un fléau mondial : il dresse un état des lieux inquiétant mais propose aussi nombre de solutions.

Le diagnostic ? Selon le dernier rapport de l'UNICEF, qui porte sur l'année 2019, 237 millions d'enfants dans le monde sont aujourd'hui dans l'incapacité de prouver leur existence légale, soit parce qu'ils n'ont pas été enregistrés à la naissance, soit parce qu'ils n'ont pas reçu de certificat de naissance. Si les plus faibles taux d'enregistrement concernent l'Afrique, aucun territoire n'est épargné et tous les continents sont concernés. En Asie, par exemple, la politique de l'enfant unique menée par la Chine, bien qu'assouplie, a conduit de nombreux parents à dissimuler l'existence de leur enfant par crainte de sanctions du régime chinois.

En France aussi, certains territoires font face à une explosion du nombre de mineurs sans identité et isolés : c'est le cas des territoires ultramarins, comme Mayotte ou la Guyane, mais aussi des territoires métropolitains, où le phénomène concerne les mineurs non accompagnés, les enfants roms ou les enfants de parents en situation irrégulière.

Les causes de ces maux sont diverses et multiples. On peut tout d'abord parler du sous-développement et de l'absence de structures administratives dédiées. En effet, comment les services d'état civil d'un pays dont les moyens matériels et humains sont déjà insuffisants peuvent-ils assurer et permettre à la prise en charge de l'enregistrement des enfants ? On peut aussi penser à l'inadaptation du cadre juridique des pays. Comment une femme veuve, une mère célibataire ou une femme violée pourrait-elle déclarer son enfant dans un pays qui ne lui en donne pas la possibilité soit légalement soit en pratique ? Enfin, il existe des obstacles culturels : comment des populations sédentaires, comme les Peuls ou les Touaregs, peuvent-ils accéder aux services administratifs dédiés, souvent éloignés ? Par ailleurs, certaines coutumes et croyances exigent également d'attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant de donner un nom à un enfant.

On le voit, les causes et les conséquences du non-enregistrement sont nombreuses, bien identifiées, et s'étendent tout au long de la vie. L'accès à la nationalité, aux droits sociaux, à la justice, à l'éducation publique, au droit de vote, au droit de propriété ou encore au droit à la santé sont autant de problèmes rencontrés par les personnes sans identité qui de facto sont davantage exposées à des risques tels que l'adoption illégale, la prostitution, le trafic d'êtres humains, l'embrigadement et, malheureusement, la mort. En effet, lors de conflits armés, ces enfants, qui n'existent pas d'un point de vue administratif, ne sont jamais reconnus comme victimes.

De nombreux textes internationaux font la promotion de l'enregistrement obligatoire des naissances, à commencer par l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant – CIDE – , adoptée en 1989, qui prévoit que « l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ». En 2015, l'Assemblée générale de l'ONU a fait de la question des mineures sans identité une priorité des politiques internationales de développement.

La volonté d'agir est partagée par tous, et il y a urgence. Je tiens ici à saluer l'excellent travail de Laurence Dumont et Aina Kuric, dont le rapport constitue une contribution essentielle à la prise de conscience de ce drame et à la nécessité de généraliser l'enregistrement des naissances. De nombreuses préconisations y figurent, je n'y reviendrai pas.

« Il ne suffit pas de naître pour être ; il ne suffit pas d'être pour exister. » Vous en conviendrez, mes chers collègues, ces mots sont puissants et nous invitent à agir. C'est pourquoi le groupe La République en marche apporte tout son soutien à ce rapport.

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