Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 21h30
Mission d'information sur les enfants sans identité

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'état chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie :

ce qui sera précieux pour engager de nouvelles actions.

C'est d'ailleurs en raison de cet éveil des consciences que, durant ces dernières semaines, en commission, en séance publique, nous avons intégré au projet de loi de programmation un certain nombre d'amendements, dont je vous remercie. Je pense à celui qui vous était dû, madame la rapporteure Laurence Dumont, et qui nous a permis, dans le cadre de partenariat global, d'ériger en principe directeur des politiques de développement solidaire la nécessité d'enregistrer les naissances et de disposer d'un état civil fiable. Je pense à votre amendement, madame la rapporteure Aina Kuric, visant à prendre en compte l'accès à un état civil fiable au sein de notre approche fondée sur les droits humains. Je pense à ceux qui ont contribué à ancrer davantage les droits de l'enfant dans nos grands objectifs, notamment à un amendement en ce sens du rapporteur de ce projet de loi, Hervé Berville. D'autres encore, comme Perrine Goulet ou Florence Provendier, ont introduit des références à la Convention relative aux droits de l'enfant. Tout cela est désormais inscrit dans le texte soumis à la navette parlementaire et sera bientôt, j'espère, gravé dans le marbre de la loi, ce qui contribuera à renforcer l'intégration de l'enfance aux priorités de notre politique de développement.

Je dois dire que nous veillons à développer une approche toujours plus intégrée de l'état civil. Comme vous l'avez évoqué, le sujet pouvant être considéré sous différents angles, plusieurs services sont concernés ; nous devons faire le lien entre eux, au sein de notre ministère et au niveau interministériel. L'état civil se trouve en effet au coeur de l'accès aux droits : je remercie Brigitte Liso d'avoir cité à ce propos Hannah Arendt, qui parlait d'or, comme toujours. C'est à travers ce prisme large que nous pourrons traiter l'ensemble des aspects du problème.

Parlons à présent de ce que nous avons fait évoluer depuis que vous vous êtes emparés du sujet, c'est-à-dire depuis 2018. En 2019 et 2020, avant même la remise de votre rapport, nous avons – grâce à vous, je le répète – pris davantage conscience du problème et nous avons agi. Nous l'avons fait dans un cadre bilatéral, en abordant régulièrement le sujet lors de nos discussions avec l'AFD. Ainsi, le Nigeria a pu bénéficier de prêts afin de moderniser et d'harmoniser sa politique d'identification numérique. Comme vous, nous avons conscience que la question de l'identité se pose dès la naissance et requiert donc une approche bien spécifiée. Il ne s'agit pas de le traiter au fil de l'eau et des programmes électoraux ou autres ; il revêt une autre dimension. C'est pourquoi, au Cameroun, nous sommes fiers que l'AFD subventionne la construction du centre du Bureau national de l'état civil, chargé de coordonner le plan de réhabilitation de cet état civil camerounais. D'autres actions sont menées dans des zones où la situation est plus compliquée : en République centrafricaine, la France finance des projets de renforcement de la cohésion sociale, permettant de délivrer des centaines, voire des milliers d'actes d'état civil à des orphelins ou à des enfants démunis. Madame la rapporteure Laurence Dumont, vous avez dit que, dans le monde, 166 millions d'enfants de moins de cinq ans, soit un enfant sur quatre, ne sont pas enregistrés. De tels chiffres nous incitent à la modestie : des centaines, des milliers, ce ne sont pas encore des millions. Je reviendrai dans quelques instants sur cette nécessité de changer d'échelle.

Nous agissons également dans un cadre multilatéral, celui de la francophonie s'y prêtant particulièrement. À la suite de Frédéric Petit, je salue l'action de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. C'est dans son enceinte que, pour la première fois, j'ai été sensibilisé à ce problème : la sénatrice Claudine Lepage, qui à l'époque vous suppléait, je crois, était intervenue sur la question. Si le chantier avance au niveau international, c'est aussi grâce à l'engagement des parlementaires. Il fait partie de ceux qui portent la marque du Parlement : c'est dire ce que nous vous devons. Du reste, si nous souhaitons agir par l'intermédiaire des instances de la francophonie, il y a une autre raison à cela : en 2020, Jean-Yves Le Drian et moi-même avons alloué à l'OIF 1 million d'euros supplémentaire, en formulant le voeu qu'une partie de cette contribution exceptionnelle soit affectée aux actions en faveur des enfants sans identité. Cela nous a permis d'appuyer un projet pilote au Niger. L'OIF avait d'ailleurs publié en 2014, en lien avec le réseau institutionnel et les ONG de la francophonie, un Guide pratique pour la consolidation de l'état civil, des listes électorales et la protection des données personnelles.

Si la francophonie est un cadre particulièrement adapté à l'action multilatérale, elle n'est pas le seul. Vous n'avez pas manqué de souligner l'implication de l'UNICEF. C'est pourquoi la France contribue par exemple au financement du bureau de l'UNICEF au Liberia – où nous soutenons la création, au sein des services de santé de Monrovia, de deux centres d'enregistrement des naissances, ce qui rendra possible la délivrance de 5 000 certificats de naissance. La question de l'état civil est d'ailleurs systématiquement incluse, pour des raisons évidentes, dans tous ceux de nos projets de développement qui touchent à la maternité. S'agissant de l'UNICEF, nous mobilisons également le fameux FSPI, ce qui correspond à la proposition no 6 de votre rapport – je les ai toutes lues avec attention. Nous avons ainsi prévu de consacrer en 2021 2 millions d'euros à deux projets menés avec l'UNICEF, dont l'un porte sur l'enregistrement des naissances en Afrique de l'Ouest et l'autre sur le développement d'un état civil moderne dans l'Union des Comores. Ce soutien à l'UNICEF s'inscrit pleinement dans la perspective tracée par l'ONU en matière d'identité juridique : l'UNICEF est l'un des chefs de file de cette initiative qui conjugue accès aux droits et développement. En outre, le ministère prévoit de contribuer dès cette année au financement du groupe de travail international créé sur cette question.

Naturellement, notre action multilatérale en vue du développement passe également en grande partie par l'Union européenne et ses divers instruments, tel le fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique. Là encore, nos débats ont fait avancer les choses : en vous entendant, nous avons décidé de travailler avec un autre État attentif à cette question, la Belgique, à sensibiliser nos homologues européens. Nous rédigerons un non-papier ; ce format permet souvent de faire progresser des causes lors des réunions interministérielles européennes consacrées au développement. Chargés de dossiers et de projets, nos collègues n'ont pas forcément en tête celui qui nous intéresse : la contribution de la France, associée à un ou plusieurs autres États, aura un effet positif et incitera peut-être d'autres pays encore à agir davantage.

Par ailleurs, l'engagement français en matière d'état civil suppose – je vous ai entendus– que nous améliorions nos pratiques au niveau interministériel. Nous travaillerons avec le ministère de l'intérieur à régler les situations que vous avez évoquées en Guyane, à Mayotte, et dans les territoires voisins. Le Quai d'Orsay mobilisera toujours davantage sa diplomatie afin de plaider cette cause. En 2019, à l'occasion du trentième anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, le Président de la République a montré son engagement.

C'est pourquoi nous mettrons bien volontiers en oeuvre également votre proposition no 21 visant à inclure cette question dans les examens périodiques universels – EPU. Vous savez que la France a rejoint le Conseil des droits de l'homme il y a quelques semaines. Nous sensibiliserons nos diplomates pour qu'ils examinent la situation de l'enregistrement des naissances en vue d'inclure, si nécessaire, des recommandations en la matière à l'occasion des EPU. Nous vous rejoignons donc bien volontiers sur ce sujet également.

Par ailleurs, la France mène naturellement un plaidoyer en faveur des droits des femmes dans le cadre de sa diplomatie féministe. Elle plaidera également dans toutes les enceintes pertinentes contre les discriminations qui empêchent les femmes d'enregistrer la naissance de leur enfant. Mais le plaidoyer ne suffit pas. La sensibilisation et la communication, que vous avez toutes deux évoquées, sont essentielles et la France est également active sur ce front. Nous avons ainsi participé au dialogue de haut niveau sur l'enregistrement des faits d'état civil en Afrique, et nous soutenons la campagne de sensibilisation sur l'enregistrement des naissances en Afrique, portée par l'Union africaine en partenariat avec l'UNICEF.

En outre, au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, nous avons décidé au cours de ce débat – c'est dire l'utilité que revêt ce type de rendez-vous – d'élaborer une véritable feuille de route relative à l'action de la France pour appréhender ce phénomène. Jusqu'à maintenant, nous avons en effet une stratégie relative au développement et aux droits humains – datant de 2018 si ma mémoire est bonne – , dont un passage concerne la question des enfants sans identité. C'est un petit paragraphe qui, certes, nous engage à renforcer les actions avec les ONG, mais aujourd'hui nous voulons aller plus loin. Nous allons donc nous efforcer de nous doter d'une véritable feuille de route.

Nous l'évoquions à l'instant : avec Philippe Lacoste et Aurélie Bellon, nous sommes déjà parvenus à des lignes directrices très claires à la suite des recommandations que vous avez formulées. Nous les traduirons dans cette feuille de route qui aura l'intérêt, en formalisant un certain nombre d'objectifs, de mettre tout le monde sous tension. En effet, si la question des ressources humaines se pose, je crois en réalité qu'il s'agit moins de multiplier le nombre de personnes qui travaillent sur le sujet que de faire que chacun se sente davantage impliqué au sein du ministère, dans les services centraux comme dans les services déconcentrés, ainsi que dans les différents ministères concernés. À cet égard, la feuille de route sera précieuse : sa présentation, le moment venu, permettra de poursuivre la sensibilisation de l'ensemble des acteurs, tant en interne qu'en externe. Je vous fixe donc ce rendez-vous, qui sera la prochaine étape nous concernant. Je sais en effet que naturellement vous continuerez de votre côté à être actifs et actives au sein des différentes enceintes parlementaires qui traitent le sujet.

Quoi qu'il en soit, je tenais à vous dire que nous avions la foi et l'énergie chevillées au corps pour, de notre côté, approfondir et amplifier nos actions, afin d'être au rendez-vous ambitieux que vous nous avez fixé.

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