Intervention de Philippe Michel-Kleisbauer

Séance en hémicycle du jeudi 4 mars 2021 à 9h00
Politiques de la france au sahel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Michel-Kleisbauer :

Nous voilà réunis huit années après que la France a répondu à l'appel au secours du président malien Dioncounda Traoré. Autant dire tout de suite que ni le Président de la République, ni vous, Florence Parly, ministre des armées, n'avez créé cette situation, mais que vous en êtes, comme nous tous, les héritiers. Nous sommes quasi unanimes sur ces bancs pour penser, madame la ministre, que le Président de la République et vous faites honneur, depuis le début de notre mandat, à la bravoure de nos guerriers. Nos armées, notre patrie, nos villages ont payé un lourd tribut pour que cette région tant aimée de l'Afrique vive libre. Une femme et plus de cinquante hommes ont, de leur sang, abreuvé le sillon de la terre de toutes les origines. Leurs âmes désormais se posent ici ou là sur les chaises laissées vides par d'autres frères et soeurs d'armes. Ils et elle ont mêlé leur sang au sable du désert, leur esprit aux vents, leur vie à l'éternité, sur cette terre du Mali, pour cette terre du Mali, comme des générations de combattants avant eux, sénégalais, malgaches et animistes ont versé le leur sur les terres de France.

Ah, Mali Mali, qui as fait naître Amadou Hampâté Bâ, l'un des plus grands sages de la culture africaine ! À l'instar de son ami Théodore Monod, qu'il appelait « son fleuve silencieux », il a guidé de Bandiagara à Bamako, en passant par Mopti et Ségou, toutes celles et ceux qui, par les écrits, ont appris que cette boucle du Niger abritait tant de peuples, de cultures, d'histoires à découvrir, à apprécier et à respecter. Il nous a appris qu'en Afrique traditionnelle, l'individu est inséparable de sa lignée, qui continue de vivre à travers lui et dont il n'est que le prolongement. Il nous a fait découvrir que nombreux sont les habitants de cette région à descendre de différentes ethnies ; parfois, comme lui, à la fois de Peuls, peuple de pasteurs nomades, et de Toucouleurs, du Tékrour, ensemble d'ethnies soudées par l'usage d'une même langue. Il nous a enseigné que cette terre de Macina est de longue date le théâtre de guerres fratricides, à l'instar de celles que se sont livrées les Toucouleurs de l'armée de El Hadj Omar et l'armée du calife peul Sékou Amadou. Enfin, il nous a initiés aux secrets et aux symboles qui ont permis à l'enfant miraculeux Bâgoumâwel de triompher sur Njjedo Dewal, mère de la calamité Kaïdara.

Ce sont ces cultures ancestrales marquées par le tidjanisme que veulent faire disparaître les djihadistes venus du nord, de l'est, du sud ou de l'intérieur. Ils se sont attaqués en premier au mausolée des saints musulmans de la ville mythique de Tombouctou, comme ils l'ont fait à Palmyre ou à Bâmiyân, puis ils ont poursuivi en massacrant des ethnies ou des confessions dans une violence inouïe afin d'assujettir des populations entières. Leurs actes et leur dessein restent les mêmes, au moment où d'aucuns s'interrogent sur notre présence là-bas : l'objectif des djihadistes est de rendre la paix impossible. À l'instar de Boko Haram au Nigéria voisin, les djihadistes se nourrissent de la faillite des États. Les organisations terroristes parviennent à y apparaître comme des alternatives crédibles au format étatique, et il en est qui se demandent si nous devons y rester ! Cette organisation terroriste dissémine un réseau d'écoles coraniques qui se substituent au système scolaire, et d'autres voudraient pointer les choix tactiques !

Mes chers collègues, c'est nous, politiques, qui échouons par la désertion du champ qui est le nôtre, là où nos soldats, au prix du sang, rendent la construction de la paix possible. Paralysés par une histoire coloniale que nous avons encore du mal à regarder en face, nous devrions rebrousser chemin, alors que notre devoir est de venir en aide à ces populations soeurs d'Afrique ? Pourtant, le président Jacques Chirac nous avait montré une voie lors de l'installation du Comité national pour la mémoire de l'esclavage. Je le cite : « La grandeur d'un pays, c'est d'assumer, d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses mais aussi avec sa part d'ombre. »

C'est pourquoi le président Macron soulignait la volonté des États africains ayant fait appel à la France, dès son investiture et lors des sommets de Pau et N'Djamena, de retrouver leur souveraineté et de bâtir une société démocratique. Mais débarrassons-nous des mots-valises qui n'appartiennent qu'à l'Occident, comme celui de « développement », ou même celui, plus recherché, de « codéveloppement » de feu Claude Cheysson, qui fut l'un de vos précédesseurs, monsieur le ministre !

Acceptons d'accompagner l'Afrique dans sa propre voie, celle qu'elle se sera choisie, comme nous y invite la nouvelle école de pensée conduite par Alain Mabanckou, Achille Mbembe ou encore Felwine Sarr. Respectons l'indépendance de ces États tout en les aidant à construire une justice des hommes sociale, économique et démocratique. Si nous respectons ces cultures et ces identités, alors nous pourrons construire la paix. Il est temps que la politique réinvestisse son champ, pour redonner à la paix l'une de ses plus belles voix, celle de la France.

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