Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 24 mars 2021 à 15h00
Suivi de la crise sanitaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, FI :

« On ne sait pas de quel côté va retomber la pièce », ainsi s'exprimait un conseiller de l'Élysée jeudi dans Le Parisien. Qu'allait choisir le chef de l'État : un confinement dur, un confinement doux ? Jusqu'à la dernière minute, nous dit-on, jusqu'à la dernière seconde, le Président a hésité. Quelle serait cette fois, je cite toujours, « le pari d'Emmanuel Macron » ? « Pour l'instant, c'est du cinquante-cinquante » confiait son entourage. Et cette phrase, donc : « On ne sait pas de quel côté va retomber la pièce ».

Mais la pièce, c'est nous ! C'est la France. Ce sont 67 millions de citoyens libres, qui ont même la liberté pour premier mot de leur devise. Va-t-on rejouer au foot, ou pas ? Pile ou face. Ça dépend de la pièce, de l'humeur du Président, de son sentiment. Est-ce que le fleuriste vendra ses fleurs ? Pile ou face. Les cours à l'université et dans les lycées ? Pile ou face. Boire une bière en terrasse ? Pile ou face. Depuis plus d'une année, nous sommes entre les mains du souverain, suspendus à ses lèvres, sans prise sur notre destin, ni ici, dans cette assemblée, ni ailleurs, et l'expression qui revient dans la bouche des gens, c'est : « On attend de voir à quelle sauce on va être mangés. »

Finalement, après un confinement, un déconfinement, un reconfinement, un redéconfinement, un couvre-feu à vingt heures et un couvre-feu à dix-huit heures, nous voilà avec un confinement territorial partiellement déconfiné et un couvre-feu à dix-neuf heures, avec attestation de sortie, mais finalement sans, et finalement si. C'est du colmatage, du rafistolage, sans aucune stratégie, sans aucun calendrier ! Vous ne rouvrez pas les bars et restaurants, les musées et les cinés, les gymnases et les salles de sport, mais surtout, vous ne rouvrez pas l'espoir, vous ne rouvrez pas l'horizon.

Ce matin, Ali m'a dit : « On a l'impression qu'ils tâtonnent avec une canne blanche. Il faudrait leur acheter un chien d'aveugle. » Dans Le Parisien, encore, un conseiller gouvernemental, nous dit-on, décrypte : il fallait donner des gages aux soignants exténués. Évidemment ! C'est le moment de visiter un hôpital, de se planquer derrière les blouses blanches. Le couvre-feu, c'est pour eux que vous le faites. C'est en leur nom, le re-re-reconfinement : soudain, il faut les écouter et montrer les urgences débordées. Le reste du temps, en revanche, vous êtes sourdingues, les oreilles bien bouchées. Des quoi ? Des lits ? Le Premier ministre ose même – et c'est à ça qu'on le reconnaît – affirmer que les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits à l'hôpital. Eh bien si, ils le demandent, et ils s'étonnent même que nous soyons le seul pays au monde à fermer des lits en pleine pandémie. « Allons ! leur réplique-t-on, à quoi serviraient des lits sans soignants ni personnels ? – Mais justement, vous hurlent les réanimateurs, nous en réclamons, et nous réclamons soixante internes de plus dans notre spécialité ! Soixante pour tout le pays, ce n'est pas énorme ! Si nous les avions orientés en septembre, ils seraient aujourd'hui à nos côtés dans les services et nous serions moins asphyxiés. » Mais combien en avez-vous accordés ? Vous le savez : zéro.

Pour les vaccins, c'est presque pire : combien de doses seront produites en France en mars ? Zéro. En avril et en mai ? Zéro. Combien de tout le printemps et de tout l'été ? Zéro. Zéro souveraineté ! Nous devrons attendre les doses qui ne viennent pas ou celles que Pfizer ou Moderna veulent bien nous livrer, sans même qu'on ne réclame pour les Français la levée des brevets à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce.

Alors, comme la digue ne tient plus et devient une passoire, que faire ? Fermer le robinet des libertés. Voilà votre variable d'ajustement, et toujours au nom des soignants. Mais ça ne prend plus ! Laura, médecin en service covid, nous écrit : « Je ne veux plus leur servir de caution. Ne nous habituons pas à vivre comme ça. Notre rôle est de soigner les malades, pas de juger les vivants. Notre rôle est de sauver des vies, pas de dicter la vie. » Florian, urgentiste lui aussi : « Nous ne voulons pas que les plages soient interdites, nous voulons des soignants. Nous ne voulons pas d'une dictature sanitaire, nous voulons retrouver une protection sociale démocratique. » Fadi, réanimateur : « Le corps social n'a jamais demandé de telles privations de libertés. Le Gouvernement utilise la saturation des hôpitaux pour justifier des mesures liberticides et infondées. »

Comme Laura, Florian et Fadi, comme ces soignants, je n'accepte plus votre discours. Comme des millions de Français qui se faufilent dans les rues et se retrouvent en cachette, je n'obéirai plus. Je ne reconnais plus votre autorité. Au nom de la vie, vous devenez mortifères. Vous portez la tristesse et les dépressions. Nous n'allons plus attendre. Nous n'allons plus attendre votre permission. Nous n'allons plus attendre pour vivre et pour rire, pour danser et pour chanter, même masqués.

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