Intervention de Chantal Jourdan

Séance en hémicycle du mercredi 24 mars 2021 à 15h00
Évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Jourdan, SOC :

Alors que nous traversons depuis un an une crise sanitaire liée aux conséquences des actions humaines sur l'environnement et que nous venons d'examiner en commission le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est opportun de nous pencher sur la santé environnementale. Si nous retenons la définition de l'Organisation mondiale de la santé, la santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psycho-sociaux et esthétiques de l'environnement. Face à un sujet si étendu, je me contenterai de revenir sur deux éléments.

D'abord, comme le démontre le rapport de la commission d'enquête, il est nécessaire de développer un ensemble de politiques publiques appuyées sur des faits scientifiques pour répondre aux problèmes liés à la santé environnementale. Dans son rapport, notre collègue Josso relève les difficultés rencontrées en matière scientifique. Trop souvent, nous sommes confrontés à des carences de la recherche, si bien qu'il est difficile d'affirmer qu'il existe un lien direct entre une cause environnementale et son incidence sur notre santé. Or, comme l'indique, le rapport, les scientifiques interrogés sont convenus que l'absence de certitude, qui caractérise fréquemment les enquêtes issues des suspicions de liens, ne doit pas être traitée comme le signe conclusif de l'absence d'un lien. Assimiler les difficultés à faire le lien avec l'absence de lien revient à laisser des citoyens exposés sans solution et sans accompagnement.

Je l'ai constaté concrètement dans mon département, où des éleveurs sont confrontés aux effets de phénomènes électriques sur leurs élevages. Dans certaines fermes, les agriculteurs observent des changements de comportement des animaux, des signes de souffrance de leur part, ce qui entraîne une baisse de rendement et affecte donc leur revenu. Face à ces phénomènes, des analyses importantes sont menées sur l'hygiène, la nourriture, l'environnement, souvent par le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, le GPSE, organisme créé par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Dans ces cas précis, des phénomènes électriques sont fortement en cause. Or le GPSE reste ambivalent. Pourquoi ? Eh bien, il est en partie lui-même financé par l'organisme qui est suspecté d'être impliqué dans les troubles. Voilà donc un exemple très concret d'une organisation qui ne peut conduire de façon indépendante des travaux, ce qui retarde la compréhension des phénomènes.

La proposition no 1 du rapport de développer des recherches inclusives est évidemment un premier pas, mais la question des moyens et de l'indépendance est également fondamentale.

Second point : si les propositions du rapport sont intéressantes, aucune appréhension systémique du sujet n'est envisagée, puisque ne sont recommandées que des améliorations dans le cadre étroit des politiques déjà menées. Or il importe que nous nous intéressions à la santé environnementale de façon plus large, notamment en réfléchissant aux causes. L'amélioration des politiques de prévention est nécessaire, ces dernières s'inscrivant trop souvent dans la préparation à un risque et non à son évitement.

Qu'il s'agisse du changement climatique, du déploiement de technologies ou du développement de nouvelles organisations de production, tout cela a et aura des effets sur notre santé car ces évolutions ont une incidence sur l'environnement. Or la logique actuelle pousse à une course effrénée vers le développement de nouvelles technologies et pratiques s'accompagnant d'études et d'analyses en amont peu poussées et sans le recul nécessaire. À cela s'ajoute que nous savons qu'il est très difficile, voire impossible, de revenir en arrière quand une technologie s'est implantée. Nous en sommes donc réduits à gérer les conséquences parfois désastreuses en apportant des correctifs plus ou moins efficaces.

Pour citer quelques exemples : nous affrontons toujours les conséquences du scandale de l'amiante ; nous avons constaté les pollutions à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol ; nous prenons enfin conscience de la catastrophe du chlordécone dans les territoires d'outre-mer ; nous connaissons les conséquences d'une alimentation de mauvaise qualité ou de la pollution de l'air. Et nous refusons d'envisager les effets directs et indirects que pourraient avoir la 5G ou les ondes électromagnétiques.

Protéger la santé de tous passera donc par un examen global des causes. Il est temps d'interroger fondamentalement notre modèle de développement. La crise actuelle a de nouveau démontré notre difficulté à assumer des erreurs. Alors que les scientifiques nous alertent depuis de nombreuses années sur la libération de virus dangereux, en lien avec notre maltraitance de l'environnement, la destruction de la biodiversité ou la fonte accélérée du permafrost nous promettent bien pire si nous ne savons pas tirer les conséquences de nos choix. Quand nous évoquons l'amélioration des politiques publiques de santé environnementale, nous nous retrouvons malheureusement à écoper le Titanic avec un seau.

Comme l'indique Mme Josso, notre inaction, longue de plusieurs décennies, engendre des coûts faramineux en vies humaines et pour les finances publiques : selon l'OMS, 23 % de la mortalité est liée à une cause environnementale et une commission d'enquête du Sénat évalue le coût de la pollution de l'air à 100 milliards d'euros par an. Les faits sont là et doivent nous inciter à une réflexion de fond sur notre modèle de développement et non seulement sur une amélioration des moyens d'en gérer les conséquences sur notre santé.

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