Intervention de Martine Wonner

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre la fraude à l'identité et mineurs non accompagnés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Wonner :

La proposition de loi que vous présentez, chers collègues du groupe UDI-I, vise à réécrire l'article 388 du code civil, pour instaurer une présomption de majorité pour les jeunes étrangers isolés qui refuseraient de se soumettre à un test osseux visant à déterminer leur âge. Vous savez que cette disposition est inconstitutionnelle – vous l'avez dit vous-même – , mais vous persistez. Ce texte se fonde sur l'instrumentalisation politique d'outils médicaux datant d'un autre siècle. Une telle méthode est inefficace et indigne. Le groupe Libertés et territoires s'y oppose fermement.

Juridiquement, votre texte ne tient pas la route. Dans une décision de 2019 consécutive à une QPC, le Conseil constitutionnel a rappelé que le recours aux tests osseux n'était possible qu'avec plusieurs garanties, afin d'être conforme au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or vous proposez de supprimer ces garanties.

Le Conseil constitutionnel a en particulier rappelé que la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. Dans la mesure où la proposition de loi instaure une présomption de majorité pour les personnes refusant de se soumettre au test, son inconstitutionnalité fait peu de doutes. Par ailleurs, plusieurs instances internationales, notamment la Cour européenne des droits de l'homme et le comité des droits de l'enfant des Nations unies, ont affirmé le principe d'une présomption de minorité.

Vous souhaitez en outre rendre obligatoires des pratiques médicales détournées de leur but initial. En instaurant une présomption de majorité pour les enfants qui refusent de se soumettre aux tests osseux, vous créeriez une obligation de fait de s'y soumettre, puisqu'en cas de refus, les enfants isolés ne pourraient pas bénéficier de la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, alors qu'elle est vitale pour eux.

Les tests que vous souhaitez imposer consistent en une radio du poignet ou de la main, qui est ensuite comparée à des planches d'images, l'atlas de Greulich et Pyle, constitué auprès de 1 000 jeunes Américains de classe aisée dans les années 1930 et 1940 aux États-Unis. Cet atlas ne correspond plus du tout aux morphologies de notre époque. Une vaste étude, menée en 2017 au centre hospitalier régional universitaire de Marseille, a mis en évidence que ces tests sont fiables de six mois à un an près entre 0 et 10 ans, et d'un à deux ans près au-delà de 10 ans. Entre 16 ans et 18 ans, la variabilité atteint fréquemment deux ans. Or 88 % des mineurs isolés pris en charge appartiennent précisément à cette tranche d'âge. Une autre étude a montré que ce test n'est pas fiable, en particulier, pour les jeunes mineurs isolés étrangers, victimes d'une croissance souvent ralentie par des facteurs économiques, sociaux et nutritionnels dégradés.

Un tel manque de fiabilité a des conséquences dramatiques sur la vie de certains enfants. À plusieurs reprises, des mineurs ont été chassés de l'aide sociale à l'enfance, car considérés à tort comme majeurs. Le comité d'éthique du centre hospitalier universitaire de Brest a rapporté, en 2018, le cas de jeunes migrants jugés majeurs et remis à la rue sur le seul fondement d'un examen osseux, malgré une évaluation positive de leur minorité par les services de l'aide sociale à l'enfance. En 2014, des médias ont relayé le cas similaire d'une jeune fille de 16 ans, mise à la rue à la suite d'un test osseux erroné qui lui donnait 18 ans.

Enfin, quel affront de présenter une telle proposition de loi ! L'argument avancé pour la justifier est qu'une partie importante des jeunes ayant le statut de mineurs non accompagnés et bénéficiant à ce titre de l'aide sociale à l'enfance sont en réalité des majeurs qui se font passer pour mineurs. À aucun moment, vous ne vous demandez pourquoi certains majeurs cherchent à se faire passer pour mineurs pour bénéficier de ce statut. En fait, ils risquent de vivre dans la rue s'ils ne bénéficient pas de cet accompagnement. Est-ce réellement ce que vous voulez ? Ou s'agit-il plutôt de vous réapproprier le discours de l'extrême droite ? Dites-le clairement, s'il vous plaît.

Les réponses à apporter consistent en des politiques de gestion des flux migratoires et d'accueil des migrants respectueuses de la dignité humaine, du droit national et du droit international. Vous proposez tout le contraire avec ce texte, raison pour laquelle nous nous y opposerons.

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