Intervention de Thomas Gassilloud

Séance en hémicycle du vendredi 26 mars 2021 à 9h00
Place de la france face à la révolution des nbic

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Gassilloud, Agir ens :

Ces robots, capables d'un apprentissage automatique par l'expérience, deviennent autonomes ; ils ont une énorme capacité de mémoire et développent une aptitude à raisonner. De nouvelles machines dotées de l'intelligence artificielle seront utilisées dans les systèmes experts, le commandement militaire, l'aide au diagnostic et aux décisions, la gestion financière. Elles seront capables de reconnaître les formes et la parole. Certaines machines pourront même exprimer des émotions artificielles et résoudre des problèmes complexes.

Les avancées duales offertes par certaines technologies étendent également la confrontation économique à de nouveaux espaces de compétition : numérique, robotisation, intelligence artificielle, télécoms à très haut débit. Face à ces nouveautés, les États européens avancent parfois en ordre dispersé, avec des budgets cumulés en recherche et développement souvent sous-dimensionnés, notamment par rapport aux efforts chinois et américains. Ces insuffisances sont de nature à priver l'Europe de son avance résiduelle et de son influence dans ces domaines. Le risque d'un déclassement irrémédiable, voire d'un effacement du continent européen dans les affaires du monde, ne peut plus être écarté. Les résultats de la course au vaccin contre la covid-19 en sont un bon exemple et constituent une première alerte : d'autres continents ont été plus ambitieux et plus forts que nous.

Contrairement aux nôtres, les ambitions de la République populaire de Chine sont immenses. Là encore, la pandémie de la covid-19 aura permis de révéler une partie des ambitions stratégiques et des modes d'action du régime chinois. Assumant ouvertement sa rivalité stratégique avec Washington, exploitant toutes les occasions qui se présentaient, Pékin a développé au cours des trois dernières années une diplomatie aussi active qu'agressive, fondée sur des actions d'influence au niveau mondial, et que ses efforts en matière d'espionnage et de captation technologique et le poids qu'elle représente désormais en matière économique et industrielle ont permis d'accentuer – sans même parler de la résolution dont elle fait preuve du point de vue militaire.

Pékin entend peser plus directement sur les enjeux mondiaux et faire valoir ses aspirations stratégiques. Au-delà d'un compétiteur économique, la Chine est ainsi devenue un rival systémique pour l'Union européenne, mais aussi un partenaire diplomatique de premier plan, notamment sur la question climatique. Elle a profité de la pandémie pour mener une diplomatie sanitaire et mettre en avant ses entreprises et ses produits. L'ambition chinoise en matière d'industrie pharmaceutique s'inscrit dans le cadre du plan Made in China 2025, qui fait des biotechnologies une des dix priorités de la recherche. Le plan quinquennal 2016-2020 présentait d'ailleurs la pharmacie comme l'une des cinq industries prioritaires, un accent particulier étant mis sur les vaccins.

De l'autre côté du Pacifique, le bouleversement numérique est très largement provoqué par des entreprises américaines, au premier rang desquels les célèbres géants Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, les GAFAM. Leur présence est écrasante dans la recherche en ligne, le e-commerce, les systèmes d'exploitation et les plateformes, qui hébergent et permettent de faire circuler des contenus véhiculant les valeurs de l'Amérique. Ces entreprises s'affirment donc comme l'un des instruments du soft power américain.

Cette domination continue de s'accentuer, car les entreprises de la Silicon Valley se développent en absorbant les nouveaux venus, dont les innovations pourraient les menacer. Le caractère exponentiel de la croissance numérique leur permet de creuser sans cesse l'écart avec leur rival arrivé plus tard sur le marché.

Pour compléter ce succès, les acteurs américains du numérique souhaitent maîtriser l'ensemble des chaînes de valeur dans lesquelles ils s'inscrivent. Leur démarche est comparable à la stratégie dite du collier de perles, appliquée par la Chine, qui vise à assurer son approvisionnement en hydrocarbures grâce à l'acquisition de ports le long des routes maritimes.

Les entreprises américaines ont su procéder aux investissements physiques nécessaires en amont de la chaîne de valeur. Google, par exemple, possède près de 900 000 serveurs, travaille avec des ordinateurs quantiques et collabore avec la NASA, l'agence spatiale américaine. Pour maîtriser leurs services de manière globale, les géants du numérique investissent aussi dorénavant dans des réseaux internet privés qui combinent sécurité et performances. Grâce à cette logique, les acteurs américains sont en mesure de nuire à leurs concurrents ou, à tout le moins, de les mettre en insécurité.

Enfin, sur le plan mondial, les États-Unis dominent le secteur de la biologie de synthèse.

Le caractère dual de ces recherches et technologies, qui présentent des applications aussi bien civiles que militaires, doit donc être appréhendé d'un point de vue opérationnel. Alors, face à ces défis, que doit faire la France ?

Tout d'abord, elle doit se donner les moyens de ses ambitions. Le Président de la République a ainsi annoncé un ambitieux plan relatif à l'intelligence artificielle, et dévoilé, le 21 janvier, le plan quantique, qui vise à organiser les forces industrielles et de recherche du pays pour faire de la France un acteur majeur des stratégies quantiques.

Nous devons également mieux identifier les risques sur les chaînes d'approvisionnement quitte, si nécessaire, à développer nos propres canaux. Certaines filières industrielles stratégiques doivent faire l'objet d'une attention particulière, susceptible d'aller jusqu'à une démarche de soutien capitalistique.

Enfin, pour renforcer leur souveraineté et assumer leurs responsabilités partagées, nos alliés européens devront accroître leur indépendance technologique et industrielle.

Mes chers collègues, la maîtrise des NBIC n'est pas une simple option, ni pour la France, ni pour l'Europe, car elle conditionne notre souveraineté, c'est-à-dire notre capacité à décider par nous-mêmes et à élaborer nos politiques publiques, y compris en matière de lutte conte le dérèglement climatique. Puisse ce débat contribuer modestement à la prise de conscience de chacun d'entre nous, afin que nous construisions ensemble un monde meilleur pour nos enfants.

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