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Ugo Bernalicis
Question N° 10305 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 3 juillet 2018

M. Ugo Bernalicis appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur l'usage qui est fait de l'arme de dotation hors service, par les forces de police et de gendarmerie. À la suite des attentats du 13 novembre 2015, les personnel.le.s de police et de gendarmerie ont été autorisé.e.s à conserver leur arme hors de leur service et ce dans le cadre de l'état d'urgence. En juillet 2016, à la suite du terrible assassinat de Jessica Schneider et de son conjoint le commandant de police Jean-Baptiste Salvaing, à Magnanville, la décision a été prise de pérenniser l'autorisation du port d'arme hors du service, en dehors de l'état d'urgence. Cette décision a été prise en vertu de l'arrêté du 25 juillet 2016, « portant règlement général d'emploi pour les forces de police » et la note du 4 juillet 2016 relative « aux conditions de détention et de port de l'armement individuel hors service pour la gendarmerie ». Ces décisions, d'autoriser les forces de police et de gendarmerie à conserver leur arme en dehors de leur temps de travail, ont été mises en place par à-coups, à chaud et en réaction à des attentats terroristes. M. le député tient à souligner son opposition à la généralisation du port d'arme à feu pour les forces de sécurité intérieure et, de façon plus générale, à la prolifération de ces armes. Néanmoins, si les gouvernements successifs ont acté ces mesures, il n'en reste pas moins qu'un contrôle démocratique est nécessaire. En ce sens, il est du devoir du ministre de l'intérieur d'informer le plus précisément possible la représentation nationale quant aux usages potentiels qui pourraient être faits de l'arme administrative en dehors du service par les personnel.le.s de police et de gendarmerie ; et ce afin d'interroger la pertinence et la légitimité de ce dispositif. L'association professionnelle des militaires de la gendarmerie, « GendXXI », indiquait en novembre 2017 que 25 gendarmes et 36 policiers s'étaient donnés la mort lors de l'année 2016. En juillet 2014, en réponse à la question écrite du député Jacques Kossowski, le ministère de l'intérieur précisait que « le suicide par arme de service est le plus fréquent et a représenté 55 % des suicides constatés au cours des années 2008 à 2012 ». Dans un article paru le 20 janvier 2015, une équipe de chercheurs s'attache à comprendre les trajectoires de vie et les modalités des quarante-neuf cas de suicide de policiers en 2008. Il est ainsi écrit qu'« une des autres particularités du métier de policier est la mise à disposition d'une arme à feu et donc d'un moyen létal : ce qui peut expliquer le sur-risque de suicide (...) les facteurs prédictifs des comportements suicidaires chez les fonctionnaires de police ne paraissent pas spécifiques à cette profession, mis à part, l'accès à une arme à feu, qui était vraisemblablement déterminant ». Les auteurs alertaient d'ailleurs sur une éventuelle mise à disposition de l'arme administrative durant les périodes de repos. Parmi les 48 policiers qui se sont donnés la mort en 2008, 27 (55,1 %) ont eu recours à leur arme administrative. M. le député souhaite faire remarquer que l'Organisation mondiale de la santé recommande de restreindre l'accès à des moyens létaux pour prévenir les comportements suicidaires (Organisation mondiale de la santé, Prévention du suicide : l'état d'urgence mondial, Genève : Éditions de l'OMS, 2014). Même si cette étude n'est pas spécifique à la situation des personnel.le.s de police et de gendarmerie, son analyse reste valable et doit au contraire doit questionner encore plus sur la situation. Il lui demande la communication des données précises sur le nombre de suicides et tentatives de suicides au cours desquelles un gendarme ou un policier a eu recours à son arme de service, durant son temps de travail et en dehors de ce dernier, ainsi que sur le nombre de psychologues dans les services (le nombre de postes théoriques et le nombre de postes vacants) et les formations spécifiques sur la prévention de ces risques.

Réponse émise le 13 novembre 2018

En 2017, dix gendarmes se sont suicidés avec l'arme de dotation (dix-huit en 2016), dont quatre hors service, en repos ou en permission (sept en 2016). Aucune tentative de suicide n'a eu lieu avec l'arme de dotation en position hors service ou en service (une en 2016). Au 11 octobre 2018, neuf gendarmes se sont suicidés en position de service avec l'arme de dotation et sept hors service, en repos ou en permission. Deux tentatives de suicide ont été comptabilisées avec l'arme de dotation en position hors service ou en service. La prévention du suicide en gendarmerie se structure autour du dispositif d'accompagnement psychologique (DAPSY), réseau composé de 39 postes de psychologues cliniciens répartis sur le territoire national. À ce jour, 38 postes sont pourvus, le dernier le sera avant la fin de l'année 2018. Mis en place en 1998, le soutien psychologique des personnels de la gendarmerie est d'abord assuré par une équipe de psychologues rattachée à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) projetables en tout point du territoire. A partir de 2009, ce dispositif a été étendu en région et consolide sa structuration à deux niveaux : d'une part la section psychologie, soutien et intervention au sein de la DGGN, composée de 5 psychologues cliniciens, qui est l'instance centrale de coordination ; d'autre part un maillage national de 34 psychologues cliniciens, conseillers techniques régionaux avec notamment deux postes dans les régions importantes et des créations récentes de postes de psychologues cliniciens en Guyane en 2016 et en Nouvelle-Calédonie en juin 2018. Ce dispositif est complété par une équipe de trois psychologues du travail et des organisations en charge de l'animation et du suivi de la politique de prévention des risques psychosociaux et de l'amélioration de la qualité de vie au travail de l'ensemble des personnels de l'institution. L'aspect formation est également pris en compte au travers de trois psychologues formateurs positionnés au sein des écoles de gendarmerie avec pour mission de participer à la création et à l'animation de modules de prévention des risques. La prévention du risque suicidaire s'inscrit dans le cadre plus global de la prévention des risques professionnels – notamment des risques psychosociaux – et se construit sur les trois niveaux de prévention, d'abord primaire, réduire le risque, ensuite secondaire, préparer aux conséquences du risque, et enfin tertiaire, réparer les dommages causés. La gendarmerie développe des modules de formation à destination de l'encadrement et des personnels qui visent à garantir une prise en compte plus efficiente des facteurs de risque psychosociaux ainsi qu'une meilleure identification du rôle et des missions des acteurs du réseau santé au travail. Ces formations insistent sur la dimension relationnelle dans l'exercice du commandement et permettent aux encadrants d'apporter une réponse adaptée selon le degré d'urgence identifié. Certaines d'entre elles, centrées sur des thématiques telles que la souffrance, le suicide et la résilience, sont déjà dispensées dans les écoles et centres de formation de gendarmerie. La DGGN prépare actuellement des modules complémentaires, spécifiques à l'amélioration de la qualité de vie au travail. Un module de sensibilisation à la prévention des risques psychosociaux en format vidéo est également en cours de réalisation. Sa diffusion à l'ensemble des personnels est prévue dans le courant l'année 2019. Pour ce qui concerne la police nationale, 51 suicides ont été déplorés en 2017 (contre 36 suicides en 2016). Sur ces 51 suicides, 29 ont été commis au moyen de l'arme administrative. Plus de la moitié des suicides recensés en 2017 se sont déroulés au domicile. Du 1er janvier au 31 août 2018, la police nationale déplore 22 suicides. 14 ont été commis au moyen de l'arme administrative. Le sujet du suicide, éminemment dramatique et complexe, est une préoccupation majeure et constante de la police nationale qui conduit de longue date une politique volontariste en la matière. Les actions entreprises depuis de longues années ont permis de développer au sein de la police nationale une culture commune permettant de mieux détecter et prévenir les suicides et leurs tentatives, en créant un réseau d'acteurs et des instances de dialogue et d'écoute. S'il est établi que les causes du suicide sont majoritairement d'ordre privé, la difficulté du métier de policier, confronté aux violences, aux souffrances et aux détresses qui traversent la société, ne peut être éludée parmi les facteurs déclenchant un passage à l'acte. Depuis 1996, la direction générale de la police nationale (DGPN) est dotée d'un service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) composé, sous l'autorité d'une psychologue, de 89 psychologues cliniciens répartis sur l'ensemble du territoire. Ils travaillent en collaboration avec les autres acteurs de l'accompagnement (médecine de prévention, etc.). Les psychologues proposent des consultations pour les agents rencontrant des difficultés et accompagnent les responsables souhaitant mettre en place un système d'accompagnement psychologique après un événement potentiellement traumatique. Plusieurs dispositifs ont également été développés au cours des dernières années pour mieux détecter et prendre en charge les situations de vulnérabilité et améliorer la connaissance du phénomène. Depuis 2010, la police nationale a ainsi structuré une véritable action de prévention des suicides et un plan ministériel de lutte contre le suicide a été lancé début 2015. En 2016, dans un souci de prise en charge globale des risques psycho-sociaux, le plan de lutte contre le suicide est devenu un plan d'amélioration des conditions de travail. Pour autant, de nouvelles pistes de progrès doivent toujours être recherchées, notamment pour amplifier les efforts afin d'améliorer la détection des personnels en difficulté, la réactivité et la prise en charge au niveau local. La déconcentration des initiatives et des actions, au plus près des situations à traiter, est également une clé de l'efficacité. Fin mai 2018 un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la police nationale spécifiquement consacré au sujet a permis de faire un point sur les dispositifs et d'organiser un renforcement des capacités d'accompagnement médical, psychologique et social. Un programme de mobilisation a été présenté en CHSCT, à l'issue de la concertation menée au cours des derniers mois par la direction générale de la police nationale. Le plan identifie trois axes autour desquels les efforts doivent être amplifiés : - Mieux répondre à l'urgence : mieux repérer les agents traversant une crise suicidaire ; garantir un partage d'informations plus efficace entre les réseaux de soutien, notamment la médecine de prévention et la médecine statutaire ; mieux suivre et orienter les personnes en situation d'urgence ; soutenir plus efficacement les agents qui ont tenté de se suicider ; - Prévenir plus efficacement les situations de fragilité : objectiver l'analyse des suicides mais également des tentatives ; mieux évaluer les risques lors du recrutement ; renforcer le rôle des CHSCT et des réseaux d'accompagnement du personnel ; accompagner dans la durée les agents fragilisés, par la création notamment d'un guichet unique d'accompagnement des blessés ; - Améliorer le quotidien du travail, le collectif : développer les moments de convivialité et de partage, faciliter le dialogue et organiser le management de proximité, favoriser la cohésion. Par ailleurs, le directeur général de la police nationale a annoncé la constitution d'un groupe de travail sur la question du retrait de l'arme hors service pour les agents traversant des difficultés personnelles. Les mesures précitées ont vocation à être mises en œuvre et enrichies grâce, notamment, aux échanges qui vont se poursuivre avec les organisations syndicales. En concertation avec les organisations syndicales, l'administration poursuit et intensifie donc son action pour s'efforcer de toujours mieux détecter et prévenir les suicides et leurs tentatives.

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