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Dominique Potier
Question N° 10445 au Ministère de l'économie


Question soumise le 10 juillet 2018

M. Dominique Potier interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur l'efficacité et la capacité du PIB à prendre en compte les effets environnementaux de l'activité économique française. En 2015, le Parlement français avait adopté la loi Sas pour la mise en place de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Néanmoins, ni les parlementaires, ni les citoyens, ni les entreprises ne se sont appropriés ces nouveaux outils si bien qu'aucune portée ne peut être mesurée aujourd'hui. Pourtant, à l'aune de la transition écologique, il est urgent, selon le PNUE, « d'inclure les effets des crises écologiques dans le pilotage de l'économie ». Aujourd'hui, le PIB est un indicateur dépassé et inadapté. Il ne permet pas de prendre en compte les effets secondaires de la croissance économique. Au vue des enjeux environnementaux, notre croissance ne peut plus être mesurée que par le prisme de l'activité économique. Il est primordial de lire le progrès de l'économie à travers une définition plus large, incluant notamment l'environnement. A cet égard, le « PIB vert » ou l' « Inclusive Wealth Index » proposé lors du Sommet de Rio en 2012 peut être un outil à la hauteur des enjeux. Ce PIB révèle le véritable niveau de richesse d'une nation, en traduisant l'état de l'environnement, de la santé et de la qualité de vie. Il s'agit d'un instrument qui privilégie une approche pragmatique du rôle de l'indicateur, permettant également de se situer par rapport à nos partenaires internationaux et notre capacité à soutenir durablement notre croissance. A ce jour, une expérience en Midi-Pyrénées atteste de la faisabilité et de la pertinence du PIB vert. Cette région a pu dresser un état des lieux en matière de développement durable, suivre les évolutions et partager ce diagnostic avec les acteurs politiques et économiques locaux. Cet indicateur possède une véritable vertu pédagogique. En effet, la lecture du PIB vert permet d'attester d'une qualité de vie à travers une longévité moyenne élevée et un taux d'illettrisme relativement bas chez les jeunes. Au contraire, la dispersion de l'habitat et l'accroissement concomitant du recours individuel à la voiture contribuent à l'évolution défavorable de plusieurs indicateurs : l'étalement urbain comme source d'inégalités spatiales, ou encore l'artificialisation du territoire qui constitue une pression irréversible sur les écosystèmes. Ainsi, il souhaiterait lui demander sa position quant à l'adoption du PIB vert afin de mesurer le progrès et la croissance française.

Réponse émise le 13 novembre 2018

Le rôle de la comptabilité nationale est la mesure des flux monétaires générés par l'activité économique. Le PIB est l'un des indicateurs qui la résume et, vis-à-vis de cette mission particulière, il n'est pas un indicateur dépassé. Le fait qu'il ne décrit pas l'ensemble des dimensions du développement économique n'en est pas moins reconnu depuis longtemps et les statisticiens s'attachent à mesurer les autres aspects de ce développement, notamment dans le domaine environnemental. Ils peuvent ensuite regrouper ces informations sous forme de tableaux de bord : celui de la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques (dite loi Sas) en est un exemple, celui des indicateurs du développement durable des Nations unies en est un autre. Les deux sont renseignés sur le site de l'Insee (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303511?sommaire=3353488&q=Indicateurs et. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2654937?sommaire=2654964&q=Developpement+durable). Ce qui est en débat derrière les approches de type PIB vert ou Inclusive wealth index (IWI) est la possibilité de résumer les contenus de ces tableaux de bord par un chiffre unique, jouant à leur égard le même rôle que celui que joue le PIB dans le champ de la comptabilité nationale. Cette question avait été débattue dans le cadre du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi (SSF), publié en 2009 et ce rapport y avait répondu par la négative. Résumer par un indicateur unique l'ensemble des dimensions du développement durable se heurte en effet à un problème insoluble, l'absence de clé d'agrégation qui permette de pondérer ces dimensions de manière objective et partagée. Il n'y a rien qui puisse jouer un rôle comparable à celui que joue l'étalon monétaire pour la construction du PIB. Pour prendre quelques exemples issus du tableau de bord de la loi Sas, de quelle manière pondérer des indicateurs aussi divers que le PIB en milliards d'euros, les émissions de gaz à effet de serre (GES) en tonnes d'équivalent CO2 par personne, le taux d'emploi des seniors en % et le bien-être subjectif exprimé sur une échelle de 1 à 10 ? Quand bien même une clé d'agrégation serait disponible, résumer le contenu de ces tableaux de bord par un chiffre unique conduirait à une perte très dommageable d'information et des messages peu interprétables : cela a-t-il un sens de dire qu'un taux d'emploi des seniors élevé peut « compenser » de fortes émissions de GES, ou bien l'inverse ? Or c'est bien sur ce genre de message que déboucherait un indicateur combinant les deux grandeurs. C'est sur la base de ce type d'argument que le rapport SSF avait critiqué la notion de PIB vert : en voulant mesurer à la fois le niveau de vie courant et sa soutenabilité, le PIB vert ne mesure ni l'un ni l'autre. Pour reprendre l'image utilisée dans le rapport, ce type d'indicateur revient à agréger messages du compteur de vitesse et de la jauge à essence, on voit le peu d'intérêt que peut avoir ce type de mesure. La démarche de l'IWI est plus intéressante que celle du PIB vert car elle interrompt l'agrégation au niveau immédiatement inférieur. L'IWI est un indicateur du type jauge à essence qui essaye de mesurer comment évoluent l'ensemble des ressources disponibles pour la production future. Il est complémentaire du PIB en se focalisant sur la question de sa soutenabilité : un PIB élevé obtenu au prix d'un IWI en baisse veut dire une économie non soutenable, apparemment performante, mais évoluant au-delà de ses capacités. C'est le type de message dont ont besoin des décideurs soucieux du long terme. Intellectuellement plus satisfaisante, cette approche n'en reste pas moins difficile à mettre en œuvre, car les variations de l'IWI continuent d'agréger des choses très hétérogènes : de l'accumulation de capital physique, de l'accumulation de capital humain, et de la désaccumulation d'un grand nombre d'actifs naturels, toujours sans guide indiscutable sur la façon de pondérer ces éléments. Or, le message final sur la soutenabilité dépend très fortement de ces pondérations. La rapport SSF avait discuté de ceci à propos d'un indicateur plus ancien dont dérive l'IWI : l'épargne nette ajustée, à l'époque promue par la Banque mondiale. Même si l'examen de telles pistes mérite d'être poursuivi et même si l'Insee et le système statistique public suivent leurs développements, on voit qu'il y a de bonnes raisons de continuer à privilégier l'information fournie par les tableaux de bord, sans viser systématiquement un chiffre unique. La prise de décision collective doit pouvoir se faire sur la base de batteries d'indicateurs, sans passer par la construction d'indices synthétiques. Le vrai sujet à résoudre est celui du bon dimensionnement des tableaux de bord : des tableaux de bord trop sélectifs peuvent laisser échapper des sujets importants, des tableaux de bord trop systématiques sont difficiles à maitriser.

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