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Romain Grau
Question N° 14559 au Ministère de l'économie


Question soumise le 27 novembre 2018

M. Romain Grau attire l'attention de M. le ministre de l'action et des comptes publics sur l'appréciation d'un acte illicite à l'intérêt social. Dans deux grands arrêts (Cass. Crim du 6 février 1997, BJS 1997 p. 291 et Cass. Crim du 27 octobre 1997: JCP G 1996, p. 10017), la Cour de cassation a clarifié la question de l'appréciation de la conformité d'un acte illicite à l'intérêt social. Le juge suprême judiciaire juge clairement et expressément qu'engager une dépense en vue de commettre une infraction est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale ou ses dirigeants à un risque de sanction. À la différence de cette ligne, hors les cas où la loi fiscale interdit expressément la déductibilité d'une charge illicite, le Conseil d'État apprécie au cas par cas si l'acte illicite heurte ou non l'intérêt de l'entreprise et a estimé à plusieurs reprises qu'un acte illicite pouvait être conforme à l'intérêt de celle-ci. Ne conviendrait-il pas de clarifier cette différence d'analyse notamment par l'expression d'une doctrine administrative ? Il lui demande quelle est la position du Gouvernement sur cette question.

Réponse émise le 28 mai 2019

Le droit pénal et le droit fiscal ne poursuivent pas les mêmes objectifs. S'il appartient au juge pénal de départager le licite et l'illicite conformément à la loi pour garantir l'intérêt général, le juge fiscal se place sur le seul terrain de l'intérêt propre de l'entreprise, afin de s'assurer qu'une entreprise ne déduit pas des charges qui ne devraient pas normalement lui incomber. En effet, en matière fiscale, sont déductibles les charges qui concourent à la formation du bénéfice et qui résultent d'un acte normal de gestion, à l'exception de celles dont la loi interdit expressément la déduction. Conformément à la jurisprudence fiscale sur l'acte anormal de gestion, la déductibilité d'une charge s'apprécie au regard de l'intérêt de l'entreprise. Dans ce cadre, les conclusions du rapporteur public sous la décision du Conseil d'État du 30 juillet 2003 n° 232004 « Sté Azur Industrie » expliquent qu'un « acte illicite peut parfaitement être considéré comme accompli dans l'intérêt de l'entreprise et une sanction par le juge de l'impôt d'un acte de gestion contraire à une règle autre que fiscale heurterait le principe d'indépendance des législations ». Cette conception de l'acte anormal de gestion en matière fiscale est de jurisprudence constante, notamment depuis trois décisions significatives rendues par le Conseil d'État au cours de l'année 1983 (CE, sect ., 1er juillet 1983, req. N° 28315 ; CE, 7e et 9e sous-sect., 11 juillet 1983, req. n° 33942 ; CE, 7e et 9e sous-sect., 5 décembre 1983, req. n° 35697). Ces différences d'interprétation résultent du principe d'indépendance des législations pénales et fiscales, et particulièrement de l'autonomie du droit fiscal. Cette autonomie du droit fiscal n'est pas toujours favorable aux contribuables. Ainsi, en matière d'aide à caractère commercial entre deux sociétés d'un même groupe, le droit fiscal refuse la déduction de cette aide si la société qui a accordé l'aide ne peut démontrer son intérêt à accorder l'aide à l'autre entreprise, alors que le droit pénal ne considère pas nécessairement ce type d'opération comme illicite. Enfin, il est rappelé que le cadre légal exclut certaines déductions particulières, notamment, conformément au 2 bis de l'article 39 du code général des impôts (CGI), les versements visés par la convention de 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Cette disposition fait l'objet d'un commentaire au Bulletin officiel des finances publiques (BOI–BIC–CHG-40-20-30, § 30). Par ailleurs, la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale a récemment renforcé les moyens de contrôle et de sanction de l'administration fiscale et permis une meilleure coordination des procédures fiscales et pénales. Il ne semble donc pas nécessaire de modifier la notion désormais bien établie en droit fiscal d'acte anormal de gestion, ce qui en tout état cause relèverait du domaine de loi et non de la doctrine administrative.

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