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Valérie Rabault
Question N° 14771 au Ministère de la justice


Question soumise le 4 décembre 2018

Mme Valérie Rabault interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conditions d'annulation d'une décision administrative irrégulière d'admission en soins psychiatriques sans consentement. La loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 a transféré au juge judiciaire l'ensemble du contrôle de légalité de la décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement. La Cour de cassation a cependant considéré (arrêt du 11 mai 2016 n° 15-16.233) qu'en cas d'irrégularité constatée sur une décision d'admission qui porterait atteinte aux droits de la personne qui en fait l'objet, le juge ne pouvait annuler cette décision mais seulement en prononcer la mainlevée. Cet arrêt indique donc que même en cas de mainlevée prononcée par le juge judiciaire, la décision d'admission continue à persister dans l'ordre juridique et à produire ses effets, puisqu'elle ne peut être annulée par le juge judiciaire. Cette situation interroge, notamment au regard du droit à l'oubli en matière de soins psychiatriques garanti par l'article L. 3211-5 du code de la santé publique. Le 25 janvier 2018 (arrêt n° 17-40.066), la Cour de cassation a confirmé que le juge judiciaire ne pouvait annuler une décision irrégulière d'admission en soins psychiatriques sans consentement, tout en précisant que la personne concernée pouvait en demander le retrait. Dans son arrêt, la Cour de cassation renvoie en effet à l'article L. 242-4 du code des relations entre le public et l'administration qui permet de demander le retrait d'une telle décision. Cet article stipule que « sur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire ». Ainsi, il ressort de l'interprétation de la jurisprudence de la Cour de cassation que pour obtenir l'annulation d'une telle décision, la personne concernée doit dans un premier temps en demander le retrait à l'autorité administrative décisionnaire (préfet ou directeur d'établissement). En cas de refus de retrait, la personne concernée peut formuler un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif visant à l'annulation du refus de retrait, et en conséquence à un retrait de la décision. Aussi elle souhaiterait qu'elle lui confirme cette interprétation de la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans le cas contraire, elle lui demande de lui préciser la procédure à mettre en œuvre pour qu'une personne puisse demander l'annulation de la décision irrégulière d'admission dont elle a fait l'objet.

Réponse émise le 15 octobre 2019

L'article L. 3216-1 du code de la santé publique, créé par l'article 7 de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 prévoit que : « La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. / Lorsque le tribunal de grande instance statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées. ». Saisi d'un pourvoi dirigé contre une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris annulant une décision administrative d'admission en soins sans consentement, la Cour de cassation, par un arrêt du 11 mai 2016 (n° 15-16233), a annulé ladite ordonnance, au motif que les dispositions de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique précitées ne permettaient au juge judiciaire que de prononcer la mainlevée de la décision administrative de soins sans consentement, mais ne le rendaient pas compétent pour annuler une telle décision. Ce faisant, la Cour de cassation a refusé de voir dans les dispositions créées par la loi du 5 juillet 2011 l'institution d'un véritable et entier bloc de compétence au profit du juge judiciaire. Dans le prolongement de cette décision, la Cour de cassation (arrêt n° 17-40066 du 25 janvier 2018) a refusé de renvoyer au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité présentée par un requérant qui estimait que les dispositions de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique portaient atteinte à la faculté d'annulation d'une décision administrative, ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel et effectif. La Cour a en particulier relevé que les dispositions des articles L. 240-1 et L. 242-4 du code des relations entre le public et l'administration permettaient d'obtenir le retrait d'une décision de soins sans consentement et offraient donc la possibilité de la faire disparaître de l'ordonnancement juridique sans l'intervention du juge. La jurisprudence de la Cour de cassation a, justement, conduit plusieurs requérants à s'adresser à l'autorité administrative compétente en vue d'obtenir le retrait de la décision de soins sans consentement, puis à contester devant la juridiction administrative la décision de refus qui leur avait été opposée. Ainsi le président du tribunal administratif de Toulouse, par une ordonnance n° 1804672 du 25 octobre 2018, a rejeté une telle demande comme présentée devant une juridiction incompétente. La cour administrative d'appel de Bordeaux (ordonnance n° 18BX03943 du 31 décembre 2018) a confirmé cette interprétation de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique, en considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il « n'appartient plus à la juridiction administrative de connaître d'un litige relatif à la légalité des décisions d'admission ou de maintien en soins psychiatriques prises en application des articles L. 3212-1 et suivants ou des articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique, lesquelles doivent être désormais contestées devant le juge judiciaire. Il en va de même des litiges concernant la légalité des refus de retirer de telles décisions ». Saisi d'un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d'Etat a récemment (arrêt du 24 juillet 2019, n° 428518, 1-4 CHR) renvoyé l'affaire au Tribunal des conflits, qui devra donc se prononcer sur la question de savoir si le juge administratif ou le juge judiciaire peut connaître d'une action tendant à l'anéantissement rétroactif d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement. La décision à venir du Tribunal des conflits permettra de déterminer la procédure à suivre pour qu'une personne puisse obtenir la disparition de l'ordonnancement juridique de la décision irrégulière d'admission en soins sans consentement.

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